19 janvier 2012

La décentralisation et le renforcement du pouvoir local doit être à l’ordre du jour de la Constitution


Par Mustapha STAMBOULI
Le passage de la dictature à un état de liberté a entraîné une désintégration des institutions  et la perte du réflexe national chez une frange importante des Tunisiens. Les revendications sont devenues d'ordre local, pas même régional comme le démontre clairement  le soulèvement populaire de certaines localités du gouvernorat de Sidi Bouzid et de Siliana. Les populations s'estiment lésées par les programmations hâtives, forcément inéquitable, ne tenant pas compte des susceptibilités locales et des besoins vitaux de la zone. C'est un échec qui aura une conséquence grave sur le développement futur du pays. L'autorité de l'Etat est contestée dans sa fonction principale de régulateur dans  la répartition et la distribution des richesses. Cet avertissement doit être pris au sérieux par la classe politique: ignorer cet état de fait fera courir au pays des risques  énormes et pourrait handicaper son développement socio-économique et culturel, voire sa stabilité.

Le citoyen tunisien est impatient, il veut tout et tout de suite car il a perdu confiance dans la classe politique laquelle cherche  à accaparer le pouvoir avant de s'intéresser aux préoccupations pressantes de la population (travail, justice, éducation, santé, sécurité, jugement des coupables de l'ancien régime, etc.).
Pour redonner du sens à la politique, il faudra mettre en place une gouvernance républicaine basée sur l'implication du peuple dans la prise des décisions par l'intermédiaire de nouveaux modes de pouvoir, de nouvelles pistes de représentativité et d'outils de  démocratie directe  et participative (référendums, initiatives populaires, pétitions, etc.) avec un pouvoir local très impliqué dans la citoyenneté et le développement en plus de ses prérogatives concernant   la gestion des affaires de la Cité. Ce mode de gouvernance pourra, à terme, réinstaurer  la confiance entre le citoyen et les représentants politiques et conforter leur adhésion aux institutions républicaines. Cette politique participative se traduit à deux niveaux :
1. Niveau local : le diktat du pouvoir central n'est plus accepté par la base qui doit décider seule de ses priorités et du contenu de son développement. L'institution la mieux placée pour jouer ce rôle est sans conteste la Commune. Cela suppose que les représentants des citoyens et citoyennes soient élus démocratiquement sur la base d'un vote sur les personnes et non sur des listes, car le mode de scrutin de listes favorise les partis dominants et marginalise la volonté populaire et les compétences reconnues localement. Le second pilier de ce pouvoir local réside dans la Fonction publique qui doit devenir efficace et intègre. Une purge transparente et républicaine des éléments corrompus doit être initiée et complétée par un apport nouveau de cadres jeunes, compétents et préparés efficacement à leurs tâches. Le Conseil des élus et l'Administration seront soutenus par un tissu associatif qui pourrait participer à la formulation, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes et projets communaux. Dans cette décentralisation, l'Administration centrale jouera son rôle de bailleur de fonds et répartira au mieux la richesse du pays sur les communes suivant des règles justes, transparentes et équitables, définies par les représentants du peuple dans l'instance législative (Parlement).
Ainsi, l'Etat poursuivra son rôle de maître-d'œuvre des grands projets d'infrastructures de base et économiques tout en gardant les prérogatives de la planification territoriale par le biais du schéma national d'aménagement du territoire (Snat), outil d'une grande utilité pour assurer une cohérence des stratégies et politiques sectorielles et un arbitrage entre le développement économique, social et environnemental.
2. Niveau national : l'épine dorsale d'un pouvoir central est l'Assemblée des députés qui est  l'émanation de la volonté du peuple. Ces élus doivent être des représentants ayant un ancrage obligatoirement local où chaque commune  élira son député, ce qui permettra une réelle représentativité dans cette instance. Chaque député (é) aura un poids relatif proportionnel à la population de sa circonscription, par exemple : une commune de 110 mille habitants aura un poids de 1 % pour le vote et une commune de 30 mille habitants un poids de vote égal à 0.27 %, sachant que la population du pays est de 11 millions. L'informatique permet d'assurer le calcul rapide et rigoureux  des votes. Cette assemblée pourrait s'intituler Chambre des Communes, appellation symbolique et significative de son pouvoir et de sa représentativité réellement populaire. Cette chambre aura, entre autres,  pour devoir de contrôler puis de valider les choix stratégiques du Snat et des politiques sectorielles afin d'éviter à l'avenir la réalisation de projets foireux et coûteux (style aéroport d'Enfidha et autoroute urbaine Tunis / la Marsa),  d'appuyer et de relayer la démocratie participative en garantissant une distribution et une répartition équitable et efficace des ressources et richesses du pays. Elle offrira le support législatif favorisant la décentralisation et la citoyenneté.
Ainsi, avec ce mode de gouvernance basé sur le local,  la Tunisie trouvera sa sécurité et les conditions propices pour son développement réfléchi, équitable et durable.
Le peuple tunisien a fait sa révolution, le peuple tunisien doit mettre en place une bonne gouvernance basée sur la démocratie directe et participative.  Qu'il saisisse ce moment de l'Histoire pour être de nouveau à l'avant-garde d'une Révolution – celle-là culturelle — dans la construction d'une citoyenneté vécue et assumée.

M.S :* (Ingénieur Enit/Epfl expert international en planification de développement)