03 septembre 2012

L’augmentation du prix du carburant pourrait-elle provoquer un «tsunami» social ?


«La décision d’augmenter le prix du carburant s’est avérée nécessaire et indispensable quoiqu’elle ait des effets négatifs sur le budget de tout citoyen». Réponse standard de tout ministre des finances qui a pris la décision d’augmenter le prix du carburant. Cette petite déclaration ne vient pas de notre ministre des finances mais de son homologue marocain !
Le gouvernement de la troïka est en train d’appliquer, avec zèle, un mécanisme  conçu dans le temps de ZABA qui consiste  à indexer les prix locaux des produits pétroliers sur ceux du marché mondial. En effet, les subventions non-ciblées de carburant profitent davantage aux riches qu’aux pauvres. En toute logique, c’est une démarche pertinente que tous les spécialistes revendiquent et proposent à condition d’affecter ces subventions aux plus nécessiteux ! Nul ne peut ignorer que le  budget de l’Etat n’est plus en mesure de prendre en charge les fluctuations importantes du prix de l’or noir. La caisse générale de compensation (CGC) plombe effectivement le budget de l’Etat et  le prive d’une enveloppe significative pour le développement et l’investissement public. La compensation de l’énergie, à elle seule, est estimée à plus de la moitié du budget de la CGC!
Sachant que le prix de pétrole ne va connaitre une accalmie dans les prochains mois et les prochaines années d’autant que la crise iranienne pourrait  faire monter les prix du baril du pétrole à plus  200 dollars voire plus si jamais l’Iran bloque le  détroit d’Ormuz. Alors que fera-t-on si le prix du pétrole grimpera à ce niveau ? Avons-nous une stratégie pour ne pas tomber dans le spiral des augmentations anarchiques provoquant une inflation à deux chiffres et des pertes de postes d’emplois par des dizaines de milliers, autrement un « tsunami »  social en perspective !
Les augmentations des prix des carburants décidées par le gouvernement il y a 48 heures auront-ils une influence significative sur les prix d’autres marchandises et services ? 

Certainement oui, la question est de savoir l’impact et l’ampleur exacts sur le panier de la ménagère. Les secteurs qui seront les plus touchés sont : le transport, l’agriculture, l’élevage, le secteur hôtelier, l’énergie électrique et l’industrie en général.
Le transport est le secteur le plus touché par la hausse des prix du carburant : (1) transport de marchandises : sans faire une simulation très sophistiquée et très technique et eu égard de la composante carburant dans le prix de revient du transport, la décision gouvernementale concernant ces augmentations impactera de 8 à 10% le prix de revient du transport routier des marchandises. (2) pour le transport des personnes, les chauffeurs des taxis et voitures de transport collectif interurbain ne manqueront pas de réclamer des augmentations substantielles de 10 à 15 % pour compenser le supplément du coût dû au carburant.
Concernant le secteur agricole et de l’élevage, les producteurs  exigeront, à coup sûr, des revalorisations des prix des produits laitiers, les fruits et légumes et de  certains produits d’élevage comme les viandes les œufs de 7 à 12 %. Aux augmentations provoquées par l’enchérissement des intrants, l’exportation illicite des produits agricoles vers nos deux voisins du Sud et de l’Ouest participe, elle aussi, à la montée vertigineuse des produits agricoles et d’élevage. Cette situation requiert la vigilance nécessaire pour un contrôle strict au niveau des frontières.

Les résultats de deux secteurs évoqués plus haut (transport et agriculture) peuvent être extrapolés pour les autres secteurs de l’économie tunisienne et par conséquent vers le panier de la ménagère qui serait, certainement, affecté par une augmentation de son coût de l’ordre de 3 à 4 % d’ici la fin de l’année ramenant ainsi l’inflation à 9% sur une année ! Un chiffre inquiétant qui érodera le pouvoir d’achat des familles tunisiennes. Les syndicats accepteront-ils ce dérapage inflationniste ? Peu probable car les syndicats ne peuvent pas accepter une inflation si prononcée dans une période caractérisée par une stagnation économique, autrement la stagflation, la maladie honteuse et mortelle si on fait rien. En toute logique et eu égard des mauvaises performances économiques, l’inflation aurait dû être négative ! La quasi-absence de contrôle des prix par les services compétents a contribué grandement à une telle inflation ! La restauration de l’autorité de l’Etat est une exigence politique et économique. Le libéralisme économique n’est pas l’anarchie ou les pratiques mafieuses. Une économie ouverte suppose une administration forte et une justice indépendante qui font respecter et exécuter les lois de la République !

Les petites manipulations d’épicier ne mèneront nulle part, il faudra de l’action stratégique. L’Etat tunisien doit s’atteler, dès maintenant, à mettre en place un plan d’actions visant l’économie d’énergie, la promotion de l’énergie renouvelable et l’efficience énergétique au sein des entreprises, grosses consommatrices d’énergie. Sans cette démarche anticipatrice, notre pays sera exposé à la dure réalité des augmentations des prix du pétrole dont les conséquences sont néfastes tant pour les ménages que pour notre appareil productif (industrie, agriculture, tourisme). Ne seront compétitifs que les pays qui ont bien compris les enjeux des énergies renouvelables. Le Maroc, pays frère et un redoutable concurrent, a bien tiré les conclusions. Son programme en énergies renouvelables le rendra autosuffisant en électricité d’ici une dizaine d’année. Ce  pays ambitionne déjà de porter à 25% sa part d'énergies renouvelables dans la production d'électricité en 2013, en mettant l'accent sur l'éolien, le solaire et l'hydroélectrique. Le Maroc prévoit également de réaliser 15% d'économies d'énergie dans le pays : 4 millions de lampes à basse consommation seront distribuées d'ici fin 2012, pour atteindre les 22 millions. Voilà un pays qui fonctionne bien ! Sommes-nous capables de suivre l’exemple marocain, tant qu’il est encore temps !

Les augmentations des prix du carburant à la pompe est une exigence comptable et non économique car ses effets seront fatales pour l’investissement et surtout pour le pouvoir d’achat du petit peuple et pour la consommation en général, moteur de croissance par excellence. Le gouvernement aurait dû intervenir massivement pour réinstaller l’autorité de l’Etat et chasser la mafia responsable de 2 à 3 points d’inflation dans le pays. Une action qui ne coûterait pas un centime au trésor public. Pourquoi le pouvoir en place n'avait-t-il pas commencé, il y a huit mois, par le commencement ? C’est aux ministres des Finances et de l’Intérieur de répondre à cette question essentielle ! En tout cas, tous les spécialistes sont unanimes pour dire que la politique gouvernementale constitue un échec cuisant car la croissance   économique ne se décrète pas par des augmentations des prix du carburant ou par des chiffres maquillés de l’INS ! 

Les agences de notation nous guettent et sont prêtes à nous éjecter si on continue à jouer à l'autruche face aux problèmes structurels de notre économie ! Les politiques de «Stop and go» ne sont nullement une bonne stratégie de gouvernance.

Mustapha STAMBOULI