«Sauvons les acquis républicains »: lettre adressée à Béji Caïd Essebsi le 6 juin 2011.


Etant fils, neveu et frère de résistants, ayant activement participé au combat anticolonialiste aux cotés de Bourguiba, je m’adresse à vous compagnon et héritier du Combattant suprême.

La Tunisie a réussi un second combat magnifique : chasser le dictateur – usurpateur Ben Ali. Cet acte héroïque, exemplaire doit être concrétisé et complété par un acte fondateur, se déclinant, selon moi, sur trois axes émanant de votre part, pour préserver l’œuvre et les acquis bourguibiens et tenir compte des aspirations et inquiétudes légitimes du peuple tunisien.
Bourguiba, vous le savez, a transformé "une poussière d’individus " en une nation unie grâce à un projet émancipateur et républicain touchant l’ensemble de la société et en particulier la femme tunisienne.
A partir de décembre 2010, le peuple révolté a revendiqué et réinscrit dans l’Histoire la vision émancipatrice de Bourguiba gravement atteinte par la désintégration systématique et planifiée des institutions de l’Etat par le régime benaliste.
Malheureusement, cette exigence de réinstallation des valeurs républicaines et du renouveau mal encadrés par la classe politique très pressée de prendre le pouvoir génère un état de décomposition pouvant transformer un état unifié en « poussières d’individu » : on assiste au délitement de la société ouvrant une voie royale au courant anti-historique et anti-républicain.
Le choix d’une constituante pour "débénaliser " le pays et en préparer un avenir cohérent l’incluant dans la modernité s’avère périlleux sinon producteur d’effets pervers en plongeant notre pays dans l’inconnu : le système retenu pour les élections de la Constituante, le refus d’un pacte républicain par la majorité dans la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, plus grave encore, le rejet d’une limite de temps de cette constituante anticipent un pouvoir monocolore forcément opposé au pluralisme (un Président, un gouvernement et un parlement de la même tendance, n’est-ce pas une nouvelle dictature ?).
Tout annonce que ce pouvoir monocolore sera anti-républicain et conduira à l’instabilité et au retour à la case départ – c.à.d avant le régime séculier instauré par Bourguiba.
 Face à ces risques, j’en appelle à la tenue d’un référendum, solution, peut-être moins spectaculaire, mais plus démocratique, facile, rapide, garde-fou contre l’inconnu. Mon article paru dans La Presse le 26/05/2011 sous le titre « constitution : un Référendum pour lepeuple tunisien » détaille cette proposition.
Par ailleurs, l’insécurité prévalant dans le pays, les incivilités permanentes, la transgression des lois requièrent un pouvoir républicain fort pendant cette période de transition et d’incertitude.
Pourquoi ne pas mettre en place un Conseil Supérieur Républicain Militaire qui épaulerait le Président de la république et pourrait assurer l’intérim de ce dernier en cas de vacance ?
Je n’ignore pas que cette suggestion pourrait heurter votre sensibilité et vos convictions bourguibistes, mais seul l’intérêt de la Nation commande, à mon avis, une telle prise de décision.
En tant que fils spirituel de Bourguiba et eu égard à votre parcours et votre engagement, ne pourriez-vous pas prendre l’initiative de rassembler dans un front uni toutes les sensibilités républicaines et progressistes, contribuant ainsi à l’émergence d’un courant politique puissant, convaincu, capable de résister aux courants politiques cherchant à balayer à jamais de notre mémoire collective Tahar Haddad, Abou Kacem Chebbi, Farhat Hached et tant d’autres figures ayant participé à la construction de la Nation tunisienne ainsi que la route du progrès et l’espérance démocratique amorcées par la Révolution.
Veuillez, agréer, Excellence, l’expression de ma très haute considération.

Mustapha STAMBOULI, Monastir, le 06 juin 2011