Rien ne me destinait à intervenir activement dans le débat public si ce n’est la dérive de Kabah II qui a forcé la classe politique à
opter pour la Constituante et l’abandon de la Constitution de 1959. A partir ce
moment précis, j’ai pris la décision d’écrire et de publier dans les journaux
et à travers le numérique – blog, Facebook, twitter et journaux. Après vingt
mois de combat sans relâche, je peux dire que j’ai manifestement échoué et ceci
triplement :
(1) mon premier combat contre l’idée de la constituante s’est
révélé un fiasco total car je n’ai pas réussi à convaincre malgré mes multiples
articles et mes arguments pertinents mettant en garde contre cette option.
J’avais compris que tout flottement dans la rédaction de la Constitution aurait
des conséquences dramatiques sur la stabilisation politique et socioéconomique
de la Tunisie. Pourtant, ces deux exigences conditionnaient tout redémarrage de la machine économique grippée après
23 ans de dictature et de pillage systématique des richesses de la Nation. Nous
constatons, après plus de 11 mois d’exercice de l’Assemblée Constituante et de
l’Exécutif que rien n’a été entrepris : ni Constitution ni stabilisation
sécuritaire ni redémarrage économique. Tous les chiffres sont au rouge et la
situation est toujours aussi explosive.
(2) mon second échec concerne l’organisation politique que j’avais
projetée en suppliant Béji Caid Essebsi, en sa qualité d’homme politique ayant
côtoyé longtemps le président Bourguiba et ses compagnons, de rassembler dans
un mouvement les républicains, les démocrates et les progressistes afin de
faire échouer le projet obscurantiste des islamistes qui cherchent à remettre
en cause les fondements de la République et de ses acquis. En principe, BCE a
fait l’essentiel en créant Nidaa Tounès même contre l’avis de ses proches.
L’accueil populaire fut immédiat mais l’absence de clarté référentielle et de
transparence dans la mise en place des structures provisoires ont bloqué la
machine au point où nous arrivons à
douter de ce montage boiteux car la
fraction minoritaire de la gauche syndicale voulait mettre la main sur
les structures locales et régionales du mouvement afin de se préparer pour
accaparer la décision et par conséquent les mandats électifs. Monastir,
ville-test a fait ressortir les contradictions du mouvement et a mis au grand
jour l’inefficacité de la nomenklatura de ce dernier.
(3) ma dernière initiative a capoté n’étant pas parvenu à convaincre
la classe politique de la nécessité d’une conférence nationale souveraine des
forces vives de la Nation pour poser de nouveaux jalons sur des bases
consensuelles en vue de sortir le pays de ses errements. Dès le mois d’Août,
j’ai commencé à sensibiliser l’opinion publique
par la publication de cinq articles dont une lettre adressée aux constituants
intitulée : « Dans l’intérêt national, sachez partir ». Des militants de la société civile et des
personnalités étrangères ont réagi à ces articles. Rien de la part de la classe
politique tunisienne : pas un mot, pas un commentaire. Un silence mortel
qui inquiète et nous dérange en ce sens qu’il signe tout refus d’un débat
démocratique et participatif réel. L’échec de la conférence du dialogue national
révèle l’amateurisme et l’inconséquence de la classe politique tunisienne… à
moins que cette conférence n’ait été organisée que pour prolonger à l’infini la
présente transition.
Ces vingt mois de combat m’ont permis de nouer des relations
fructueuses avec des milliers de citoyens et citoyennes à travers les réseaux sociaux et la
publication de 300 articles et réflexions sur les questions essentiellement en
relation avec les transitions post 14 janvier 2011. Malgré tous ces acquis et
encouragements, je ressens une culpabilité morale dans le fait que nous
avons échoué à convaincre la classe politique de notre vision pour
sortir le pays de son auto-blocage. C'est pourquoi j'abandonne partiellement
cette expérience pour me consacrer à d’autres objectifs et d’autres projets
plus constructifs et porteurs d’avenir pour la Tunisie, espérons-le.
Mustapha STAMBOULI, Monastir, le 31 octobre 2012
L’illustration est une œuvre de Valerie Hegarty, artiste new-yorkaise «la
vie après l’art»