"Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des
insoumis." André Gide
Avons-nous
suffisamment de recul pour procéder à un exercice objectif d’évaluation d’une
transition imposée et de ses acteurs autoproclamés ? Sommes-nous capables d’engager une réflexion sur un vécu
euphorisant à ses débuts et un futur plein d’incertitudes ? Quelques que
soient les réponses possibles, une gymnastique intellectuelle délicate et difficile s’avère nécessaire pour faire le
point sur les actes importants, les
décisions prises ou non prises, ainsi que pour décortiquer et analyser le
processus entamé afin de "débenaliser"
la politique et "détrabelsiser"
l’économie du pays. En outre, l’exercice exige de notre part des propositions
adéquates en vue de poursuivre la marche vers l’instauration et la durabilité de
la légitimité / impartialité de l’Etat de droit. Cette démarche n’a nullement
la prétention d’être exhaustive et
intégralement objective, elle se contentera d’établir le bilan d’une année sur des
sujets essentiels afin de marquer le cadrage du Futur tunisien. Nous nous
attarderons sur les questions politiques,
la gestion de la crise de notre voisin du Sud, et le dérapage économique annoncé accompagné du désenchantement local.
La transition
peut être scindée en trois périodes :
i-
période post 14 janvier
caractérisée par un refus total de la population du pouvoir issu d’un coup
d’Etat constitutionnel confirmant Mohamed Gannouchi comme Premier Ministre. Ce
dernier a été très rapidement contesté par les rassemblements des forces de
gauche appelés Kasbah 1 et Kasbah 2 qui ont fini par dégager le locataire d’Al
Kasbah. L’action gouvernementale de cette période (14 janvier - début mars) a
été marquée par la décision de renoncer à la Constitution de 1959 et l’appel à
une Constituante afin de rédiger principalement une nouvelle Constitution et
installer une légitimité transitoire.
ii-
période allant du dégagement de Ghannouchi jusqu’aux
élections du 23 octobre 2011. Béji Caïd Essebsi a dirigé la deuxième partie de
cette deuxième étape. Notre évaluation porte principalement sur cette période.
iii-
Période post élections du 23
octobre dernier à ce jour. Dans un article précédent intitulé « Bilan de
la Constituante : 120 jours
gâchés ! » nous avons établi un bilan et une analyse du
fonctionnement de la Constituante. Comme le titre l’indique, rien de consistant
ou de concret n’a été entrepris. Quant à l’action gouvernementale, elle est
brouillée par des messages contradictoires en apparence mais visant à créer la
diversion et centrer le « débat » sur des questions anachroniques en
lieu et place d’un vrai projet socio-économique prenant en compte les
difficultés du pays réel. A la date d’aujourd’hui, le gouvernement Jbali n’est
pas encore parvenu à présenter une loi
de finances complémentaire. Cette étape a vu l’émergence des mouvements
salafistes-jihadistes qui agissent en toute impunité et paralysent le
fonctionnement normal du pays. Faut-il croire qu’il a là une stratégie du pire
pour pousser le peuple à la résignation et l’acceptation du fait accompli
(régime théocratique). Cependant, cette stratégie rencontre une vive opposition
dans la population qui se mobilise. En
attestent les nombreuses manifestations et meetings dans toutes les grandes
villes du pays. Les dernières déclarations de Rached Ghannouchi, chef
d’Ennahdha, principal parti au pouvoir concernant le renoncement à la Chariaa
résulte de la mobilisation populaire. En définitive, cette période est caractérisée
par le sur-place du gouvernement et la déstructuration progressive des
institutions. L’Institut National des Statistiques exemplifie cette
affirmation. L’INS refusant toute manipulation des chiffres de l’inflation a
été l’objet de réprimandes de la part du
pouvoir en chassant son directeur général.
La constituante : erreur stratégique, manœuvre politique
et non fatalité
L’option de la
Constituante pour
réinstaller la légitimité après l’implosion du régime illégitime de Ben Ali
constitue le fait marquant de cette transition et certainement l’acte le plus
décisif pour l’avenir de la Tunisie. Le choix de cette feuille de route au détriment de l’option Référendaire
réclamée par plus de la moitié de la population, plus d’une cinquantaine de partis
politiques et surtout par l’écrasante majorité des intellectuels indépendants,
signe, à notre avis, l’absence d’une lecture visionnaire de notre pays.
L’optique référendaire, solution,
peut-être moins spectaculaire dans les mots et l’émotion, mais plus
démocratique, facile, rapide, se serait révélée garde-fou contre l’inconnu et
pratique réellement citoyenne en phase avec les demandes du peuple tunisien. Cette
décision a provoqué un découplage total et brutal entre la classe politique pressée
d’accaparer le pouvoir et la population à la recherche d’une autre alternative
dans la conception des prises de décision et de forme de gouvernance. Le faible
taux d’inscription sur les listes électorales en est une preuve éclatante et indiscutable,
ce qui a poussé la fameuse commission indépendante pour les élections à
prolonger ad infinitum les délais d’inscription et à autoriser tout citoyen et
citoyenne à voter et in fine à les inscrire d’office au besoin ! Questions
évidentes : pourquoi toute cette perte de temps et pourquoi toute cette perte
d’argent ? Le peuple tunisien est en droit d’exiger des comptes aux
décideurs de cette haute instance.
Les élections
du 23 octobre 2011 ont dégagé une majorité grâce à l’amateurisme ou la
connivence de nos instances « indépendantes » issues de la transition.
La majorité « guignolesque » et anti-historique cherche, à présent, par
tous moyens, à capter l’ensemble des pouvoirs pour soi-disant asseoir une autorité
forte en vue d’affronter les difficultés qui assaillent et paralysent le pays.
Le choix
d'une Constituante censée tracer un parcours démocratique, cohérent et adéquat,
demeure, à notre avis, une aberration et une imposture. La composition de cette
institution corrobore nos affirmations : rappelons l’image du 23 novembre,
jour de l’installation de la Constituante de tous ces hommes et femmes
compétents à l’extérieur, derrière les grilles du palais du Bardo alors qu’ils auraient
dû être appelés à y siéger ! Quel gâchis, quelle honte pour la Tunisie sous les
caméras du monde entier !
Aberration
: le système électoral retenu par l’ISROR «dinosaure» pour la Constituante
préconisant un vote à un seul tour et à la proportionnelle a réduit à néant
plus de la moitié des voix et a privilégié sans conteste les partis
dominants eu égard au nombre de partis en présence et de listes indépendantes
(1600). Ce choix relève de
l’incompétence, de l’intrigue et /ou du calcul. Ainsi, la proportionnelle, dépouillée
de son caractère juste, n'était que vitrine de communication et de démagogie
comme la parité homme/femme. Ce mode de scrutin a favorisé, à l'évidence,
les partis politiques disposant de moyens financiers et logistiques importants
leur permettant de mobiliser et intéresser leurs partisans de même l'électorat
captif.
Imposture:
le peuple se voit déjà transformé en figurant passif d'une comédie
constitutionnelle écrite d'avance sans sa participation au profit d'une classe
politique qui n’a en rien ou très peu pris part au changement. Est-ce pour un
tel "avenir" que la jeunesse s'est sacrifiée ? Est-ce pour cela que
le peuple tunisien a adhéré à la révolution et s'est engagé … pour subir encore
une fois un régime totalitaire, sans vision socio-économique, avec un
seul projet : l'anéantissement des acquis républicains et sociétaux de la
Tunisie depuis la libération du pays du colonialisme.
Cet état
de fait, imposé au peuple par un premier ministre dégagé par les tunisiens pour
sa connivence avec le régime fasciste benaliste, comme alternative unique
aurait dû être interrompu par le second premier ministre qui a su sauver les
acquis du soulèvement et assuré une
transition au moindre coût. Béji Caïd Essebsi avait les moyens, l’influence et
le charisme nécessaires pour convaincre l’ISROR de l’opportunité d’interrompre cette feuille
de route au profit d’une autre plus réaliste, juste et réfléchie tenant compte
des conditions objectives du pays et de l’éclatement du paysage politique (120
partis !). Pourquoi cet homme averti ayant côtoyé les grands de ce Monde s’est-il
contenté d’exécuter avec brio un agenda auquel il n’aurait pas dû
adhérer ? A-t-il subi des pressions ? De la part de qui, pourquoi et à quelles
fins ? L’Histoire le jugera. Il doit s’expliquer devant le peuple tunisien
surtout s’il a l’intention de rester acteur de la vie politique tunisienne.
Pour tout dire, n’est pas Bourguiba qui veut !
La
classe politique au pouvoir est-elle en mesure de redresser la situation en
réduisant volontairement la durée de cette Constituante ? Acceptera-t-elle
de restituer la parole au peuple pour qu’il choisisse son futur régime
politique et adopte son propre projet de
société ? Cet acte républicain, s’il se concrétise, pourrait redonner aux
tunisiens et tunisiennes le goût et la volonté de l’engagement politique. Sinon,
une seule alternative s’offrira au peuple : faire sa révolution, sa vraie
révolution citoyenne quelques soient les coûts, les épreuves et les sacrifices.
Réinstallation
de l’autorité de l’Etat sans dérive
autoritaire : une urgence
L’aveuglement
du pouvoir concernant la gestion du territoire a généré une zone d’ombre durant
la première transition. Pourquoi le pouvoir intérimaire s’est-il empressé de
dissoudre les conseils municipaux pour les remplacer par des conseils désignés,
des appendices des partis ? Cette dérive,
en apparence, démarche non réfléchie et précipitée, fût en réalité dictée par
des considérations politiciennes et électoralistes. Les nouveaux locataires peu
préparés à la gestion des affaires publiques se sont illustrés par des interventions semant le doute sur leur capacité
d’appréciation des situations. Les
villes et villages tunisiens sont devenus des déchèteries à ciel ouvert, des
dépotoirs d’ordures et de gravats, les constructions anarchiques et illégales se
multipliant à un rythme inquiétant au vu et au su de toutes les autorités du
pays. De plus, certaines personnes mal intentionnées empiètent sur les domaines
publics (routier, maritime, espaces verts). Nos Cités se transforment en bidonvilles. Ce dérapage sans précédent dans l’histoire de
la Tunisie remet en cause nos acquis en matière d’urbanisme et de salubrité
publique. A cela s’ajoute la mafia organisée du commerce informel qui a transformé les trottoirs, chaussées et
espaces publics en marchés permanents. La police municipale et ses agents d'application de règlements brillent
par leur "invisibilité" !
Dérives et incivilités deviennent la norme, d’où la difficulté pour les prochains conseils
municipaux à redresser la situation. L’Etat devra rapidement définir une
stratégie et des solutions de sortie de ce gouffre de non droit. Ignorer cet état de fait en laissant les pouvoirs
locaux se débrouiller revient à condamner nos villes à l’anarchie et les
livrer à la mafia. Comment prétendre faire de la Tunisie une destination
touristique privilégiée avec des villes-bidonvilles, sales, dépouillées de
leurs équipements urbains.
Gestion désastreuse des biens mal acquis et urgence de repenser une
économie à la dérive
"La trabelsisation"
de l’économie tunisienne s’est traduite par la confiscation de
pans entiers de l’économie : terrains, biens immobiliers,
exploitations agricoles, carrières,
entreprises publiques avec la complicité active et l’assistance d’une
petite minorité de hauts dirigeants-zélés. Selon les experts, ce pillage
représente au moins les deux-cinquièmes de l’économie du pays. La
Commission chargée de confiscation des biens, malgré la bonne volonté de ses
membres, a échoué dans sa méthodologie d’attaque de ce dossier épineux. Cette instance aurait dû établir en toute
urgence un rapport préliminaire d’information et d’explication sur les moyens
utilisés par le clan pour s’approprier
en toute impunité et dans la durée tous ces biens appartenant majoritairement à
l’Etat. Ce rapport aurait permis de dégager une nouvelle approche, plus
efficace, suite à un débat national pour solutionner ce dossier délicat.
L’inexpérience de cette commission, en dépit de la présence de sommités
universitaires et de professionnels, a provoqué
des pertes énormes pour l’économie tunisienne. Que compte faire l’Etat tunisien des 285
entreprises récupérées ? Les revendre, mais dans quelles conditions ?
Les garder en attendant un débat
national sur cette question ? Que fait l’autorité publique pour aider les
administrateurs judicaires en charge de ces entreprises en difficulté (grèves,
sit-in, absence de trésorerie, cadres dirigeants peu coopératifs, etc..) ?
Sont-ils outillés pour préserver ce patrimoine de l’Etat et les postes
d’emploi ? Laisser ces sociétés encore sous contrôle judicaire ne
risque-t-il pas d’anéantir tout espoir de redynamisation de ces entités ?
Le Gouvernement ferait bien d’engager une réflexion globale sur la confiscation
des biens, cadeau empoisonné qui achèvera l’économie tunisienne si ces
entreprises continuent d’être gérées au jour le jour. La
commission de confiscation
a montré ses limites compte tenu de ses vagues attributions, de sa courte durée
de vie (6 mois) et de sa configuration, dans sa capacité à apporter une solution optimale
au problème dans son ensemble.
Afin
d’éviter des arrangements douteux, il est urgent de convoquer une conférence
nationale sur ce sujet pour : i- faire l’état des lieux et tirer les
conclusions sur l’implication des institutions de l’Etat dans ce dérapage, ii-
examiner les propositions du gouvernement en matière d’assainissement de ces
entreprises, iii- établir un cadre institutionnel pour la gestion de ce
patrimoine et, éventuellement, les modalités de cession de certaines sociétés,
iv- mettre en place des mécanismes de contrôle et d’audit pour préserver ce
patrimoine reconquis, v- créer un fonds d’investissement pour les zones
déshéritées avec les actifs des biens confisqués, manière de rendre justice aux
oubliés/spoliés du dictateur/usurpateur Ben Ali.
Les déficits publics et ceux de la
balance des paiements, conséquences de la "trabelsisation"
de l’économie
La mafia
tunisienne a non seulement mis la main sur les principales entreprises du pays,
mais aussi ouvert l’économie tunisienne à l’investissement direct étranger
(IDE) non exportateur. Ce concept et cette stratégie prônés et exécutés via la
vente des "bijoux de famille" (cimenteries, cession d’une part
importante du capital de Tunisie Télécom, concessions de téléphonie, banques,
assurances, tourisme, etc..) sont imputables essentiellement à Ben Ali avec
l’aide des institutions internationales. Cette ouverture pose de sérieux
problèmes à la balance des paiements de la Tunisie. Des études récentes se
basant sur les statistiques de l’INS montrent que, pour la période comprise
entre 2000 et 2008, les dividendes exportés ont été multipliés
par 3,47 alors que le PIB ne l’a été que par 1,85. Cette situation résulte
d’une politique de liquidation de tous les projets rentables au profit de
l’investissement direct étranger. Ces IDE non-exportateurs participent à
l’endettement et creusent le déficit de la balance des paiements. Ces IDE
fabriquent l’appauvrissement du pays. Est-ce un hasard ou une pratique mûrement
réfléchie par Ben Ali et son clan ? Les tunisiens se demandent si ces investisseurs étrangers sont des
sociétés-écrans servant d’abri au clan mafieux. Le gouvernement provisoire
aurait dû diligenter un audit indépendant pour connaître la vérité sur ces IDE. A son insu, le peuple tunisien
serait en train de payer environ 2 Milliards, voire plus, de dollars par an en
tant que bénéfices exportés des IDE au profit du clan mafieux et ainsi lui
permettre un exil doré. L’Etat tunisien devrait s’atteler sérieusement aux IDE,
car sont en jeu sa crédibilité et l’intérêt national. La Tunisie est en droit
de nationaliser les entreprises cédées d’une manière peu transparente aux
investisseurs soi-disant étrangers.
Mesures
préventives nécessaires pour éviter au pays le calvaire grec:
i-interdiction du déficit public, seul moyen
pour nous éviter gaspillage et projets "bidons" et nous
permettre d’avoir un meilleur recouvrement fiscal en criminalisant la fuite
fiscale;
ii- obligation
pour la Banque Centrale de garantir un solde positif, au pire nul, de l’encours
de la balance des paiements, unique paravent de notre souveraineté et indépendance
nationale (l’épargne nationale pourrait suffire avec un peu d’imagination …).
Ainsi, ces
deux règles d’or, garde-fous, engendreront une nouvelle conception de
développement économique et social fondée sur une juste redistribution des
richesses du pays et l’épargne nationale afin de nous éloigner du cercle
infernal de l’endettement, porte ouverte au néocolonialisme et à
l’asservissement du peuple tunisien. Les nouveaux prédateurs, de l’économie
libérale, particulièrement ceux des pays du golfe, nous guettent, prêts à nous
achever.
A partir de
cette année 2012, nous serons confrontés à des pressions internes provenant des
zones de l’intérieur (demande d’investissement démesurée et probablement non
rentable), et à des pressions externes venant de la montée en puissance de nos
IDE non exportateurs. Ajoutons à cela l’effondrement du secteur du tourisme,
l’impact négatif de la guerre civile larvée en Libye, la crise de la dette
souveraine européenne et du risque de l’implosion de zone Euro, et les
incertitudes de la deuxième transition qui pourraient provoquer le blocage de
l’économie tunisienne. Tous ces facteurs vont aggraver le déficit de la balance
des paiements qui avoisinera les 7 à 8 %
du PIB, alors que nous réclamons le déficit zéro.
Se prémunir de la "somalisation" de notre voisin du
Sud
Le
concept de non ingérence dans les affaires internes de nos voisins pourrait entraîner
le pire si nous continuons à observer religieusement ce dogme. La Libye a subi
et subit toujours une déstabilisation plus grave encore que celle imposée à
l’Irak et orchestrée par des intérêts étrangers pour des raisons géopolitiques.
Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la Libye est devenue le second Irak dans
la partie occidentale du Monde Arabe. Cette seconde articulation et plateforme
de déstabilisation régionale aurait pour objectif de justifier dans le futur
des opérations militaires en Afrique subsaharienne et certainement en Afrique
du Nord.
La Tunisie de
la transition (Gouvernement et surtout
Partis Politiques) est restée et reste muette : rares, voire absentes ses
prises de position sur cette guerre civile. Les tunisiens s’étonnent des
hésitations, atermoiements de la part
des autorités pour condamner la destruction de la Libye - erreur historique en
soi. Cette guerre civile a préparé le lit de la "Somalisation"
de notre voisin du Sud et l’installation définitive des forces d’El QAIDA et la
circulation d’armements voués à l’instabilité permanente des Etats de la région
et de l’Afrique entière. La Tunisie devra peser rapidement sur le processus de
pacification et de réconciliation de la Libye, condition primordiale de la
stabilisation de notre propre pays. Seuls l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et
peut être le Tchad sont à même de pousser les libyens vers
une solution pérenne qui préserverait les intérêts du peuple libyen et
ceux de leurs voisins. L’attentisme renforce l’insécurité des quatre pays et de
leur périphérie (Afrique subsaharienne) et met en jeu leur indépendance. Les
moyens pacifiques restent préférables à une intervention militaire maghrébine
qui pourrait, pourtant, devenir unique alternative. La sous-région toute
entière se trouve menacée de déstructuration, porte grand’ouverte à
l’obscurantisme et à la violence, plus encore à l’inconnu et à l’abîme.
L’institution militaire, la banque centrale et
l’administration tunisienne : belle surprise et fierté des tunisiens
L’institution
militaire, dès le déclenchement des événements en décembre 2010, a joué un rôle
de premier ordre surtout le 14 janvier 2011 en faisant avorter le coup d’Etat
contre la République en dégageant Ben Ali et son clan mafieux. L’Armée
tunisienne a compensé, lors de la stabilisation sécuritaire du pays, le défaut voire
l’absence des forces de l’ordre. Nous devons aussi reconnaitre à l’armée la
réussite logistique des élections. Nul ne peut nier l’efficacité de cette
institution pour défendre le territoire tunisien et surtout son apport en
matière de solidarité avec nos voisins libyens. Cette institution a prouvé son "républicanisme",
elle doit jouer un rôle-clé pour accompagner la démocratisation du pays et
surtout la non ingérence religieuse dans la vie politique. La future
Constitution devra confirmer ce rôle de préservation du modèle républicain et de
ses institutions.
Les
tunisiens sont souvent très critiques à l’égard de l’administration publique.
Cependant cette année de transition a
permis à tous d’apprécier le rôle positif joué par les fonctionnaires et les
structures administratives dans l’amortissement de la crise. La fonction
publique a prouvé son indépendance par rapport aux politiques et esquissé le prototype d’une fonction publique non partisane, démarche encourageante pour éviter la
politisation non souhaitée de l’Administration. Cette période a favorisé
l’émergence d’une vraie administration républicaine.
La Banque
Centrale Tunisienne (BCT) a su intelligemment, grâce à ses compétences,
préserver durant la transition son indépendance à la fois politique et
économique. Son indépendance politique s’est traduite par l’absence
d’interférence du pouvoir politique sur ses prises de décision. L’indépendance
économique s’est concrétisée à la fois par le libre choix des
objectifs et le refus de financer le
déficit budgétaire par la création monétaire, ce qui a permis de stabiliser l’inflation
à des niveaux raisonnables avec pour conséquence le maintien du pouvoir d’achat
des classes moyennes et modestes. La BCT indépendante du pouvoir politique
trouvera les moyens de défendre la frange vulnérable de la population en
barrant la route à l’irrésistible attraction
de la planche à billets.
La Tunisie
réconciliée à l’intérieur, sera plus forte à l’extérieur pour peser davantage sur la scène arabe, africaine et internationale et
offrir à nouveau au Monde un message universel de dignité et d’insoumission. A
notre avis, trois conditions sont à satisfaire pour atteindre cet
objectif :
i-
impliquer sérieusement le
peuple tunisien dans la prise de décision et surtout celle concernant le projet
de société à mettre en place,
ii-
assainir le pays des dérives
politiques benalistes et "détrabelsisation"
de l’économie,
iii-
garantir l’indépendance de la
troïka institutionnelle (Administration, Armée et BCT).
Il y a huit
mois, nous avons publié un article intitulé « transition à
mi-parcours : bilan mitigé ». Aujourd’hui, quinze mois après la chute
de la dictature, nous affirmons qu’il
est confus. Agissons pour que le bilan de la seconde transition ne soit pas
catastrophique…
Pour terminer
et en paraphrasant un grand Monsieur, Stéphane Hessel, nous dirons à ceux et celles en train de créer la Tunisie de demain, aux insoumis et
insoumises : "construire, c’e st résister. Résister, c’est
construire" et aux commerçants de la politique qu’ils dégagent...
Mustapha
STAMBOULI, républicain