L’expérience
démocratique entamée depuis le départ énigmatique de Ben Ali a abouti très rapidement
à un échec cuisant que nous vivons aujourd’hui (insécurité généralisée,
économie à la dérive voire en décomposition, autorité de l’Etat bafouée, etc.).
Quelle en est la cause principale ? Selon notre analyse, la classe
politique installée après le 14 janvier, incapable de reconstruire un Etat
moderne et démocratique. L’exigence de réintroduction des valeurs républicaines et celle d’un renouveau
mal encadrée par les partis trop pressés de prendre le pouvoir génère un état
de décomposition pouvant transformer un état unifié en « poussière
d’individus ». En effet on assiste au délitement de la société ce qui
ouvre et offre une voie royale aux courants jihadistes et séparatistes.
Le
communiqué de Monsieur Béji Caïd Essebsi admet l’échec de la transition et
illustre l’inaction et le dérapage du
pouvoir provisoire actuel. L’ancien Premier Ministre de la transition est
responsable moralement de ce double
échec car il pouvait, lui, grâce à son charisme, choisir une autre
feuille de route plus réaliste pour la Tunisie. Il a refusé de le faire. Pourquoi cet
homme averti ayant côtoyé les grands de ce Monde s’est-il contenté d’exécuter
avec brio un agenda auquel il n’aurait pas dû adhérer ? A-t-il subi des
pressions ? De la part de qui ? A
quelles fins ? L’Histoire le jugera. Il doit s’expliquer devant le peuple
tunisien surtout s’il a l’intention de rester acteur de la vie politique du
pays.
La Tunisie vit actuellement un désordre total : un
gouvernement incapable de gouverner, un président sans pouvoir veut régner, une
Constituante incompétente et une opposition désorganisée à la recherche d’un
sauveur à l’image de Bourguiba. Le peuple doute de la capacité de la classe
politique pour redresser la situation politique, économique, sociale,
sécuritaire et surtout institutionnelle.
Le peuple attend des gestes forts pour croire et s’impliquer dans la
construction du pays. La majorité prendra- t- elle l’initiative de réduire
volontairement la durée de la Constituante ? Acceptera-t-elle de restituer la parole au
peuple pour qu’il choisisse son futur régime politique et adopte son propre
projet de société? Cet acte républicain,
s’il se concrétise, pourrait redonner aux tunisiens et tunisiennes le goût et
la volonté de l’engagement politique. Sinon, une seule alternative s’offrira au
peuple : faire sa révolution, une vraie révolution citoyenne quelques
soient les coûts, les épreuves et les
sacrifices.
Tout est donc à recommencer. La Tunisie ne survivra que si
elle réinstalle l’autorité de l’Etat et implique toutes les compétences en vue
de trouver les solutions appropriées pour un pays à la dérive tant sur le plan
sécuritaire qu’économique. Les esprits y sont prêts. Il ne manque qu’une
formulation politique claire et un engagement résolu et sans faille de la part
des acteurs politiques. Mais ces conditions, qui seraient si simples à remplir
dans n’importe quel pays au Monde, s’apparentent, en Tunisie, à un chemin de
croix, tant l’incompétence du gouvernement provisoire/ pléthorique est flagrante
et tant l’opinion, écrasée de soucis quotidiens de survie, perdue.
Face
à ces risques, nous en appelons à une refonte intelligente et objective de
la feuille de route pour la Tunisie pour mieux encadrer le futur de notre pays
afin de lui éviter l’implosion, une « libyanisation» et une mise
sous-tutelle à la grecque. Cette feuille
de route se décline, selon nous, sur six axes :
- Pour éviter le déchirement, nous proposons de promulguer par un acte solennel le texte original de la Constituante de 1959 comme Constitution de la République tunisienne avec une application immédiate de ses dispositions. Ceci étant, la Constituante pourrait créer une commission nationale indépendante formée d’experts en droit constitutionnel pour la confection d’une future Constitution. Cette instance aurait un mandat unique : l'élaboration d'un projet de Constitution, sur la base d’un pacte républicain et des termes de référence précis. Ce projet devrait être préparé dans un délai maximum d’un an et ce document serait soumis à référendum populaire.
- Pour débloquer la situation politique, économique et sociale, nous suggérons la mise en place d’un exécutif intérimaire en remplacement de l’exécutif provisoire qui a échoué dans sa mission. La Constituante aurait la tâche d’identifier une personnalité ayant les qualités intrinsèques d’un homme ou une femme d’Etat de consensus mais intransigeant (e) surtout en ce qui concerne l’unité nationale et les valeurs de la République pour être accepté et pourquoi pas soutenu (e) par tous les tunisiens et tunisiennes sans distinction d’origine sociale ou territoriale. Cette personnalité saura faire comprendre au peuple la situation complexe et critique du pays. Elle fera passer l’intérêt supérieur de l’Etat avant le sien. Cette personnalité assurerait les charges de Président de la République en application des dispositions de la Constitution adoptée par la Constituante.
- Le Chef de l’Etat intérimaire formerait immédiatement son gouvernement composé d’un effectif très réduit (une vingtaine de portefeuilles au maximum) formé par des patriotes / technocrates capables d’impulser l’action gouvernementale et de ramener l’adhésion et la confiance des citoyens et des opérateurs et chefs d’entreprises tunisiens.
- la "stabilisation" de la Tunisie confèrerait davantage d’autorité à l’institution militaire qui a prouvé son républicanisme afin de préserver le pays de tout désordre mettant fin à l’insécurité menaçant tous les citoyens et citoyennes et les étrangers présents sur notre territoire national.
- de procéder immédiatement à la préparation des prochaines élections présidentielles, parlementaires et municipales. La mise en place d’une administration électorale dotée de moyens humains et financiers constituerait un premier pas de bonne foi vers la normalisation de la vie démocratique du pays. La Constituante devra établir rapidement un nouveau code électoral réellement juste et transparent tenant compte des conditions politiques objectives du pays afin d’éviter le ratage des élections du 23 octobre dernier.
- Le Président Habib Bourguiba avait construit avec brio une politique étrangère réaliste, équilibrée, réactive et indépendante des puissances étrangères. La classe politique devrait s’inspirer des positions géopolitiques de Bourguiba et bâtir avec notre environnement géographique et historique des relations fondées sur le principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays et surtout des pays frères et amis. Le changement brutal de positionnement international de la Tunisie et son ralliement aveugle aux positions qataris inquiètent tous les tunisiens et risquent de nous mettre dans des situations délicates vis-à-vis de nos voisins. La donne stratégique internationale doit nous pousser, compte tenu de notre maigre dimension militaire et de la fragilité de notre économie, à opter pour une neutralité absolue et éviter de nous aligner sur un camp. La « guerre du gaz» qui opposerait les «vrais amis de la Syrie», Russie, Chine, Iran, … aux «inconditionnels d’Israël» est imminente. Israël, nouvelle puissance technologique, militaire et énergétique avec des réserves en gaz de 3500 milliards de m3, tire les ficelles et pousse l’humanité vers une guerre géoéconomique et probablement militaire avec des conséquences improbables. Le sionisme mondial veut redessiner la nouvelle carte du monde à travers les routes du gaz : des pays vont disparaitre pour faire place à des petits Emirats dépendants des puissances dominantes. Le printemps arabe et ses révoltes sont passés par ces routes. Si Qatar a des intérêts avec Israël, c’est regrettable mais c’est son affaire. La Tunisie devra sortir de ce guet-apens et corriger sa trajectoire géostratégique. Nous proposons au pouvoir de demander officiellement et d’urgence aux Nations Unies le statut d’Etat Neutre à l’instar de la Suisse, seul moyen d’éviter aux tunisiens des souffrances et une mise sous-tutelle de leur pays. La Tunisie devrait être grande par son intelligence, sa clairvoyance, ses hommes et ses femmes. Il n’est pas question de se vendre pour quelques milliards de dollars ni pour du gaz et du pétrole à « gogo ».
Aujourd'hui,
le défi auquel est confrontée la Tunisie s'annonce
gigantesque. Si nous continuons à faire "du surplace" et
jouer au jeu de l'autruche, nous risquons le pire qui dans ce cas, signifie la
déconstruction de l’Etat et la «somalisation » du pays. Notre seul salut
réside dans la réinstallation de l’autorité de l’Etat sans dérive autoritaire,
le rétablissement de la logique dans la gestion de l’économie nationale sans
dogmatisme et populisme et l’instauration d’un dialogue social sans arrière
pensée politique.
Pour conclure, la crise de la Tunisie est une crise des
élites. Elles ont été placées au sommet de l’Etat pour se servir et non pour
servir. «Vivre sur la bête implique que celle-ci demeure en vie »,
évidence oubliée. Alors disons-le clairement à tous ceux et celles qui
pourraient agir et ne le font pas : vous êtes coupables de non-assistance à
pays en danger !
Mustapha STAMBOULI, républicain.