Le récent découpage territorial tunisien en cinq districts soulève des questions cruciales quant à son impact sur le développement régional, la stabilité financière et l'unité nationale. Cet article explore les enjeux majeurs liés à cette réforme, mettant en lumière la nécessité d'un dialogue inclusif, de la transparence financière, et de la priorité à la gestion de la crise économique. Une réflexion approfondie est essentielle pour façonner un avenir plus prometteur pour toutes les régions tunisiennes.
Il convient de rappeler que la Constitution tunisienne de 2022 offre une clarification concise au sein de son article 133 du chapitre VII, consacré aux collectivités locales et régionales. Celui-ci énonce que « les conseils municipaux et régionaux, les conseils des districts, ainsi que les organismes conférés du statut de collectivité locale en vertu de la loi, sont tenus de promouvoir les intérêts locaux et régionaux conformément aux modalités légales établies ».
Cette disposition implique que tant la structure que
le contenu de la décentralisation sont exclusivement soumis à la régulation
présidentielle à travers un ensemble de lois.
En comparaison, la Constitution de 2014 apportait
davantage de détails explicites sur cet aspect essentiel de la
décentralisation.
En effet, la Constitution de 2014 a établi la
décentralisation comme un pilier fondamental de l'organisation territoriale.
Cependant, l'article 14 de cette Constitution précise clairement que le choix
de la décentralisation doit s'inscrire dans le cadre de l'État unitaire. Cette
disposition entraîne plusieurs implications importantes :
1. L'administration centrale maintient une présence au niveau local grâce aux organes
déconcentrés. Cela signifie que même dans un système décentralisé, le
gouvernement central continue d'exercer une influence et une autorité locale à
travers ces organes.
2. Le principe de la libre administration, qui
sous-tend la décentralisation, comporte des limites fondamentales :
a. L'application du principe de la légalité, ce qui
signifie que le pouvoir local s'exerce conformément aux lois édictées par
l'Assemblée des Représentants du Peuple. Les autorités locales doivent agir en
conformité avec la législation nationale.
b. La protection des droits et des libertés de
manière uniforme, exerce des subdivisions territoriales. Tous les citoyens ont
le droit de jouir de ces droits et libertés de manière égale sur l'ensemble du
territoire national, et cette égalité est garantie par le pouvoir judiciaire.
c. La préservation de la souveraineté de l'État, ce
qui signifie que, malgré la décentralisation, l'État conserve sa souveraineté.
Dans le cadre du lancement du processus de mise en
place du découpage territorial au niveau des districts, le 22 septembre 2023,
le président Kaïs Saïed a promulgué un décret présidentiel qui prévoit la
division du territoire tunisien en cinq districts. Selon ce décret, les
gouvernorats seront chargés de financer les coûts de fonctionnement des
districts ainsi que de fournir les ressources logistiques et humaines
nécessaires à leur bon fonctionnement. De plus, chaque district sera doté d'un
conseil qui se réunira tour à tour dans les gouvernorats qui le composent. Il
est évident que les districts représentent une charge pour le budget des
gouvernorats, qui éprouvent déjà des difficultés à fonctionner correctement et
à honorer leurs obligations financières. Ces nouvelles structures
décentralisées manquent de moyens pour être viables ; elles affaibliront le
pouvoir régional et plongeront les régions dans une grande difficulté,
Cependant, dans le contexte actuel de l'État tunisien, marqué par une dette
élevée et des difficultés financières graves, il est crucial de ne pas donner
de faux espoirs aux régions enclavées et défavorisées. Le nouveau découpage en
cinq districts territoriaux peut sembler prometteur à première vue, mais il est
essentiel de comprendre les limites de cette approche. En examinant les
implications du nouveau découpage territorial en Tunisie, nous pouvons
identifier les points clés qui nécessiteraient une réflexion plus approfondie.
1. Le Défi de l'Amélioration
des Conditions de Vie
Le simple redécoupage des frontières administratives ne garantit pas
automatiquement une des conditions de vie et des opportunités économiques pour
les régions défavorisées. Les problèmes sous-jacents, tels que le chômage
élevé, le manque d'accès à l'éducation et aux soins de santé, ainsi que
l'insuffisance des infrastructures existantes, ne seront pas résolus simplement
en redessinant les limites. Ces problèmes résultant de décennies de négligence
et nécessité des solutions à long terme.
Il est essentiel de mettre en place des programmes de développement économique
ciblés, des investissements dans l'éducation et la santé, ainsi qu'une
planification urbaine appropriée pour améliorer réellement les conditions de
vie dans les régions dites enclavées. Le redécoupage territorial doit
s'accompagner d'un engagement en faveur du développement humain durable.
2. Transparence et Gestion
Financière Responsable
L'État tunisien doit faire preuve de transparence concernant ses capacités
financières limitées. Créer de faux espoirs en promettant des investissements
massifs dans ces régions enclavées est irresponsable, car cela pourrait
conduire à des attentes non satisfaites et à la frustration de la population
locale.
Il est impératif de garantir que les ressources allouées aux régions enclavées
soient utilisées de manière efficace, transparente et sans corruption. La
surveillance et la reddition de comptes sont essentielles pour éviter les abus
et garantir que les fonds sont utilisés au profit des communautés locales.
3. Priorité à la Gestion de la
Crise Financière
Avant de se lancer dans des réformes territoriales coûteuses, la Tunisie doit
résoudre sa crise financière actuelle. La stabilisation économique doit être
une priorité, car cela créera un environnement favorable aux investissements
futurs. La réduction de la dette, la lutte contre la corruption et
l'augmentation des revenus de manière responsable sont des mesures essentielles
pour retrouver une base financière solide.
4. Dialogue inclusif et
consultation publique
Le nouveau découpage territorial en Tunisie ne peut pas être imposé de manière
unilatérale. Il est crucial d'engager un dialogue inclusif avec toutes les
parties impliquées, y compris les différents gouvernorats, les partis
politiques et la société civile, avant de mettre en place des réformes
territoriales majeures. Le consensus est souvent la clé pour éviter les
tensions et les divisions.
En outre, il est essentiel de consulter la population et de recueillir son avis
sur une telle réforme. Cela renforce la légitimité du processus et garantit que
les besoins et les préoccupations des citoyens sont pris en compte.
5. L'Équilibre entre Autonomie
Régionale et Intégrité Nationale
Le découpage de la Tunisie en districts ou régions peut avoir des avantages
potentiels en termes d'administration plus efficace et de décentralisation du
pouvoir. Cependant, il y a aussi des inquiétudes légitimes concernant les
risques pour l'unité nationale. La création de districts ou de régions
autonomes peut parfois conduire à des déséquilibres de pouvoir, à des tensions
entre les différentes régions et à des problèmes de gouvernance.
Pour éviter ces problèmes, il est essentiel de garantir que le processus de
découpage est démocratique, transparent et qu'il tient compte des intérêts de
toutes les parties. L'expérience d'autres pays dans la gestion de la
décentralisation pourrait servir de guide.
6. Le modèle suisse, inimitable et
unique !
Utiliser la Suisse comme modèle de décentralisation
sans tenir compte de nos propres histoires, à la fois celle de la Suisse et
celle de la Tunisie, serait une simplification excessive.
La Suisse, dès son origine le 1er août 1291, est
un complexe de construction connu, où les cantons de Schwytz, Uri et Unterwald
se sont unis pour l'ancienne Confédération suisse. Cette union s'est consolidée
au fil des siècles avec l'adhésion d'autres cantons, renforçant ainsi
l'indépendance nationale face à ses voisins.
Mustapha STAMBOULI
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