23 septembre 2023

Le nouveau découpage territorial en Tunisie : un défi complexe à surmonter !

 


Le récent découpage territorial tunisien en cinq districts soulève des questions cruciales quant à son impact sur le développement régional, la stabilité financière et l'unité nationale. Cet article explore les enjeux majeurs liés à cette réforme, mettant en lumière la nécessité d'un dialogue inclusif, de la transparence financière, et de la priorité à la gestion de la crise économique. Une réflexion approfondie est essentielle pour façonner un avenir plus prometteur pour toutes les régions tunisiennes.

Il convient de rappeler que la Constitution tunisienne de 2022 offre une clarification concise au sein de son article 133 du chapitre VII, consacré aux collectivités locales et régionales. Celui-ci énonce que « les conseils municipaux et régionaux, les conseils des districts, ainsi que les organismes conférés du statut de collectivité locale en vertu de la loi, sont tenus de promouvoir les intérêts locaux et régionaux conformément aux modalités légales établies ».

Cette disposition implique que tant la structure que le contenu de la décentralisation sont exclusivement soumis à la régulation présidentielle à travers un ensemble de lois.

En comparaison, la Constitution de 2014 apportait davantage de détails explicites sur cet aspect essentiel de la décentralisation.

En effet, la Constitution de 2014 a établi la décentralisation comme un pilier fondamental de l'organisation territoriale. Cependant, l'article 14 de cette Constitution précise clairement que le choix de la décentralisation doit s'inscrire dans le cadre de l'État unitaire. Cette disposition entraîne plusieurs implications importantes :

1. L'administration centrale maintient une présence au niveau local grâce aux organes déconcentrés. Cela signifie que même dans un système décentralisé, le gouvernement central continue d'exercer une influence et une autorité locale à travers ces organes.

2. Le principe de la libre administration, qui sous-tend la décentralisation, comporte des limites fondamentales :

a. L'application du principe de la légalité, ce qui signifie que le pouvoir local s'exerce conformément aux lois édictées par l'Assemblée des Représentants du Peuple. Les autorités locales doivent agir en conformité avec la législation nationale.

b. La protection des droits et des libertés de manière uniforme, exerce des subdivisions territoriales. Tous les citoyens ont le droit de jouir de ces droits et libertés de manière égale sur l'ensemble du territoire national, et cette égalité est garantie par le pouvoir judiciaire.

c. La préservation de la souveraineté de l'État, ce qui signifie que, malgré la décentralisation, l'État conserve sa souveraineté.

Dans le cadre du lancement du processus de mise en place du découpage territorial au niveau des districts, le 22 septembre 2023, le président Kaïs Saïed a promulgué un décret présidentiel qui prévoit la division du territoire tunisien en cinq districts. Selon ce décret, les gouvernorats seront chargés de financer les coûts de fonctionnement des districts ainsi que de fournir les ressources logistiques et humaines nécessaires à leur bon fonctionnement. De plus, chaque district sera doté d'un conseil qui se réunira tour à tour dans les gouvernorats qui le composent. Il est évident que les districts représentent une charge pour le budget des gouvernorats, qui éprouvent déjà des difficultés à fonctionner correctement et à honorer leurs obligations financières. Ces nouvelles structures décentralisées manquent de moyens pour être viables ; elles affaibliront le pouvoir régional et plongeront les régions dans une grande difficulté,

Cependant, dans le contexte actuel de l'État tunisien, marqué par une dette élevée et des difficultés financières graves, il est crucial de ne pas donner de faux espoirs aux régions enclavées et défavorisées. Le nouveau découpage en cinq districts territoriaux peut sembler prometteur à première vue, mais il est essentiel de comprendre les limites de cette approche. En examinant les implications du nouveau découpage territorial en Tunisie, nous pouvons identifier les points clés qui nécessiteraient une réflexion plus approfondie.

1. Le Défi de l'Amélioration des Conditions de Vie

Le simple redécoupage des frontières administratives ne garantit pas automatiquement une des conditions de vie et des opportunités économiques pour les régions défavorisées. Les problèmes sous-jacents, tels que le chômage élevé, le manque d'accès à l'éducation et aux soins de santé, ainsi que l'insuffisance des infrastructures existantes, ne seront pas résolus simplement en redessinant les limites. Ces problèmes résultant de décennies de négligence et nécessité des solutions à long terme.

Il est essentiel de mettre en place des programmes de développement économique ciblés, des investissements dans l'éducation et la santé, ainsi qu'une planification urbaine appropriée pour améliorer réellement les conditions de vie dans les régions dites enclavées. Le redécoupage territorial doit s'accompagner d'un engagement en faveur du développement humain durable.

2. Transparence et Gestion Financière Responsable

L'État tunisien doit faire preuve de transparence concernant ses capacités financières limitées. Créer de faux espoirs en promettant des investissements massifs dans ces régions enclavées est irresponsable, car cela pourrait conduire à des attentes non satisfaites et à la frustration de la population locale.

Il est impératif de garantir que les ressources allouées aux régions enclavées soient utilisées de manière efficace, transparente et sans corruption. La surveillance et la reddition de comptes sont essentielles pour éviter les abus et garantir que les fonds sont utilisés au profit des communautés locales.

3. Priorité à la Gestion de la Crise Financière

Avant de se lancer dans des réformes territoriales coûteuses, la Tunisie doit résoudre sa crise financière actuelle. La stabilisation économique doit être une priorité, car cela créera un environnement favorable aux investissements futurs. La réduction de la dette, la lutte contre la corruption et l'augmentation des revenus de manière responsable sont des mesures essentielles pour retrouver une base financière solide.

4. Dialogue inclusif et consultation publique

Le nouveau découpage territorial en Tunisie ne peut pas être imposé de manière unilatérale. Il est crucial d'engager un dialogue inclusif avec toutes les parties impliquées, y compris les différents gouvernorats, les partis politiques et la société civile, avant de mettre en place des réformes territoriales majeures. Le consensus est souvent la clé pour éviter les tensions et les divisions.

En outre, il est essentiel de consulter la population et de recueillir son avis sur une telle réforme. Cela renforce la légitimité du processus et garantit que les besoins et les préoccupations des citoyens sont pris en compte.

5. L'Équilibre entre Autonomie Régionale et Intégrité Nationale

Le découpage de la Tunisie en districts ou régions peut avoir des avantages potentiels en termes d'administration plus efficace et de décentralisation du pouvoir. Cependant, il y a aussi des inquiétudes légitimes concernant les risques pour l'unité nationale. La création de districts ou de régions autonomes peut parfois conduire à des déséquilibres de pouvoir, à des tensions entre les différentes régions et à des problèmes de gouvernance.

Pour éviter ces problèmes, il est essentiel de garantir que le processus de découpage est démocratique, transparent et qu'il tient compte des intérêts de toutes les parties. L'expérience d'autres pays dans la gestion de la décentralisation pourrait servir de guide.

6. Le modèle suisse, inimitable et unique !

Utiliser la Suisse comme modèle de décentralisation sans tenir compte de nos propres histoires, à la fois celle de la Suisse et celle de la Tunisie, serait une simplification excessive.

La Suisse, dès son origine le 1er août 1291, est un complexe de construction connu, où les cantons de Schwytz, Uri et Unterwald se sont unis pour l'ancienne Confédération suisse. Cette union s'est consolidée au fil des siècles avec l'adhésion d'autres cantons, renforçant ainsi l'indépendance nationale face à ses voisins.

 En revanche, la Tunisie est une nation dont l'unité a été préservée au cours de son histoire. Diviser le pays en cinq « cantons » serait une démarche inadaptée, car cela ne tiendrait pas compte de notre cohésion historique et culturelle. Il serait préférable de renforcer les gouvernorats et de promouvoir la collaboration et les synergies entre les différentes régions pour favoriser un développement équilibré tout en préservant l'intégrité de notre nation.

 Il convient de souligner que l'État tunisien semble involontairement s'orienter vers une approche diamétralement opposée à celle de la Suisse, en optant pour la fragmentation de notre pays. Cela nous éloigne donc nettement du modèle suisse.

 Le modèle suisse est unique et difficilement imitable, car il est le fruit d'une construction qui s'est étalée sur plus de 800 ans.

 En conclusion, le nouveau découpage territorial représente un défi complexe qui nécessite une réflexion approfondie et une approche prudente. Des solutions réalistes, basées sur des moyens réels, une gestion financière prudente et un engagement en faveur du développement humain durable doivent être la priorité pour garantir un avenir meilleur pour toutes les régions du pays. Le dialogue inclusif et la consultation publique sont indispensables pour éviter les tensions et les divisions et pour renforcer la légitimité du processus.


Mustapha STAMBOULI


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