10 juillet 2012

Elections du congrès national libyen : tsunami libéral ou sursaut nationaliste !


« Le moins mauvais système politique est celui qui permet aux citoyens de choisir l'oligarchie qui les gouvernera. On l'appelle généralement la démocratie. » 
Enfin la Libye peut être considérée comme un pays «normal» : il aura dans quelques semaines un parlement, un gouvernement, une justice, et dans quelques mois une Constitution après quarante  ans de pouvoir clanique sans structure d’Etat.
Huit mois après la fin de l’agression étrangère qui a provoqué la  mort de Mouammar Kadhafi et la chute de son régime,  1,7 millions d'électeurs ont participé effectivement à élire les 200 représentants  du "Congrès national libyen" parmi 3 700  candidats donnant un taux de participation au scrutin de l’ordre de 60%, selon les résultats préliminaires annoncés par la Commission électorale dans la soirée du 8 juillet 2012.
Contrairement aux pronostics, les libéraux, Alliance des forces nationales, ont fait le plein au détriment des  frères musulmans, donnés gagnants des élections du samedi 7 juillet 2012. Selon les premières estimations, la coalition des libéraux  dispose d’une nette avance aux élections législatives à Tripoli et à Benghazi, les deux principales agglomérations du pays. Des  taux dépassant parfois les 90% !
La coalition libérale en Libye ne ressemble nullement à des libéraux en Europe ou en Tunisie. Il ne faut pas se tromper de nomenclature politique : un libéral en Libye, c’est un islamiste modéré qui refuse le « Jihad »  et le « wahhabisme saoudien »,  danger qui menace l'islam, les musulmans ainsi que l'humanité entière. Les libéraux libyens comptent appliquer, quand même, la charia islamique, allant jusqu’à promettre l’établissement de la polygamie !
En tout cas, les principaux perdants de ces élections sont, bien entendu, les saoudiens et les qataris qui ont financé lourdement la campagne électorale des frères-musulmans libyens. En attendant les résultats définitifs et les analyses des spécialistes, nous pouvons dire que le vote était massivement tribal et non religieux et que les kadhafistes ont fait la différence en votant massivement pour les libéraux.

Cette assemblée libyenne n’a pas pour objet de rédiger la future Constitution libyenne. Ses prérogatives seront celles d’un parlement : voter des textes législatifs et réglementaires, adopter des budgets et suivre l’action gouvernementale. La Constitution sera rédigée par un comité composé de représentants élus des trois régions (20 élus par région).
Les libyens ont tiré profit de l’expérience chaotique de la transition tunisienne. Celle-là a pris l’option de la Constituante pour réinstaller la légitimité après l’implosion du régime illégitime de Ben Ali. Le choix de cette feuille de route  au détriment de l’option référendaire réclamée par plus de la moitié de la population, plus d’une cinquantaine de partis politiques et surtout par l’écrasante majorité des intellectuels indépendants, signe, à notre avis, l’absence d’une lecture visionnaire de la classe politique tunisienne. L’optique référendaire,  solution, peut-être moins spectaculaire dans les mots et l’émotion, mais plus démocratique, facile, rapide, se serait révélée garde-fou contre l’inconnu et pratique réellement citoyenne en phase avec les demandes du peuple tunisien. 
Les libyens  ont évité ce piège de la Constituante et ont préféré séparer les deux instances : une qui va durer normalement un mandat électoral et permettre d’installer un gouvernement non provisoire issu de la majorité parlementaire et des indépendants pour diriger le pays avec un programme à court et moyen terme et une instance spécialement pour rédiger la Constitution. Sa durée de vie correspond au temps nécessaire pour finaliser cette charte fondamentale du pays.
Le grand gagnant de ces élections est, sans conteste, le charismatique   Mahmoud Jibril, grand rassembleur pour l’unité nationale. N’a-t-il pas dit « Nous sommes ouverts à tout le monde pour créer une plateforme commune.  Nous avons toujours dit que nous souhaitions créer un gouvernement de coalition.»
Les islamistes tunisiens subissent, encore une fois, un échec à l’extérieur : la Libye aujourd’hui, l’Algérie, il y a un mois. L’étau  se resserre sur Ennahdha : une équation régionale défavorable et une tension interne allant en s’intensifiant jusqu’à la date fatidique du 23 octobre prochain.
Contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, la Libye, malgré les difficultés de création d’un Etat, est sur le bon chemin si elle déjoue le complot sioniste qui vise l’éclatement de la Libye en trois entités distinctes et celui du Qatar qui veut imposer à la Libye son Riyal et une mainmise sur son pétrole et son gaz. La Libye doit combattre cette hégémonie visant à faire de la Libye un Émirat sous tutelle  golfique.
Deux  défis de taille attendent la Libye : (1) comment le prochain régime libyen compte-t-il régler le désir séparatiste du peuple de Cyrénaïque qui espère profiter seul des richesses pétrolières ? La Constitution doit trouver une solution pérenne permettant de garder une Libye unie et solidaire et des provinces intégralement décentralisées et financièrement autonomes. Seule cette formule pourrait éviter à la Libye une implosion certaine et une guerre civile programmée ! (2) Le prochain gouvernement serait-il en mesure de pacifier rapidement le territoire libyen et mettre fin aux diktats des milices et des bandits de tout bord. Sans la sécurisation des frontières, la Libye n’est qu’une Somalie en puissance.

Mustapha STAMBOULI