Introduction
Depuis ce lundi 3 novembre 2025, le secteur bancaire
tunisien est touché par un mouvement de grève sectorielle, initié par les
agents et employés. Si les revendications salariales ou sociales sont souvent
au cœur de tels débrayages, les conséquences de cette action pourraient
s'avérer beaucoup plus profondes et stratégiques. Au-delà des perturbations
immédiates pour la clientèle, cette grève agit comme un révélateur et un
catalyseur pour les directions des banques. Elle expose la vulnérabilité d’un
modèle encore trop dépendant de la main-d’œuvre humaine et offre une
opportunité, ou un prétexte, d'accélérer une mue numérique déjà jugée
inévitable. L'avenir du paysage bancaire, même dans un pays comme la Tunisie,
pourrait bien s'écrire avec moins d'agences physiques et une redéfinition
totale du rôle de l'humain.
La grève
: un signal d'alarme pour les directions
Pour les dirigeants des institutions bancaires, une grève
généralisée, en pleine ère de la numérisation, est plus qu'un simple conflit
social. C'est un argument de poids pour justifier la rationalisation des coûts
et la modernisation des processus. Pourquoi investir massivement dans un réseau
d'agences physiques, avec tous les risques inhérents à un modèle basé sur le
personnel, alors que les solutions technologiques offrent une continuité de
service 24/7, à moindre coût et sans dépendre des aléas sociaux ? La grève des
3 et 4 novembre 2025 servira très probablement d’accélérateur à cette réflexion
stratégique.
Vers une
banque de troisième génération
Le concept de "banque de troisième génération"
repose sur une numérisation poussée à l'extrême, où les transactions courantes
sont presque entièrement automatisées. Les agences physiques, dont la majorité
pourraient être fermées, se transforment en centres d'expertise spécialisés,
axés sur des conseils complexes et une gestion personnalisée de patrimoine. En
Tunisie, la transition est déjà bien entamée avec l'essor des paiements
numériques et de l'utilisation des applications mobiles pour les opérations bancaires
quotidiennes. Des événements comme cette grève pourraient faire basculer
définitivement la balance en faveur des solutions numériques.
Les
employés face à un impératif d'adaptation
Pour les agents bancaires, les conséquences sont
majeures. La grève, pensée comme un moyen de pression, risque de mettre en
péril leur propre position à long terme. Leurs compétences traditionnelles,
axées sur les opérations de guichet, deviendront obsolètes. L'avenir de leur
carrière ne réside plus dans la résistance au changement, mais dans une
adaptation rapide et une montée en compétence vers des métiers à plus forte
valeur ajoutée : le conseil financier, l'analyse de données, la cybersécurité,
et la gestion de la relation client à travers des canaux numériques. Leur
capacité à se former et à se réinventer sera la clé de leur survie
professionnelle.
Un avenir
hybride pour la Tunisie
Même en Tunisie, l'avenir bancaire sera probablement un
modèle hybride. Le facteur humain, bien que transformé, restera essentiel pour
des segments de clientèle spécifiques ou pour les moments de vie qui requièrent
un accompagnement humain. Cependant, les banques auront désormais un argument
de poids pour réduire leur dépendance aux réseaux physiques, accélérant les
investissements dans l'intelligence artificielle, l'analyse de données et le
développement d'applications mobiles performantes. La collaboration avec les
Fintechs pourrait également s'intensifier, les grèves agissant comme un
stimulant pour une innovation plus agile et moins dépendante des lourdeurs
structurelles.
Conclusion
La grève des agents bancaires en Tunisie, en novembre
2025, pourrait bien être un tournant historique. Si elle est perçue par
certains comme une démonstration de force, elle risque surtout de précipiter
une révolution numérique qui était déjà inéluctable. Les banques, mises en
demeure de s'adapter, trouveront dans cet événement une raison supplémentaire
de repenser leurs modèles en profondeur. Pour les agents, c'est un
avertissement clair : l'avenir de leur profession réside non pas dans la
défense d'un statu quo, mais dans leur capacité à évoluer avec leur temps et à
se saisir des opportunités offertes par la numérisation. L'avenir de la banque,
même en Tunisie, est résolument digital, mais l'humain qui s'y adaptera y
gardera toute sa place.
Mustapha STAMBOULI, Ingénieur ENIT/EPFL à la retraite et ancien Expert auprès des
agences des Nations Unies
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