Cet article a été publié au journal La Presse, il y a
un an jour pour jour (13/08/2011). Nos craintes formulées dans cette réflexion
demeurent d’actualité. Constatez par vous-mêmes !
«Il est encore des gens qui ne conçoivent pas que
la raison doit s’appliquer à toutes choses en ce monde et commander toute
activité humaine»- Habib Bourguiba lors d’un discours tenu à Tunis le
8 février 1961.
Promulgué le 13 août 1956 par un décret beylical puis entré
en vigueur le 1er janvier 1957 avant même la rédaction de la Constitution par
la Constituante, le CSP a aboli, entre autres, la polygamie, la répudiation,
institué le divorce judiciaire et fixé l'âge minimum du mariage à 17 ans pour
la femme. En lui accordant la pleine capacité juridique —
c'est-à-dire celle de choisir son conjoint — il a révolutionné les pratiques
conjugales et claniques en instaurant l’exogamie, principe en cohérence avec la
volonté bourguibiste de transformer une «poussière d’individus» en une
nation. Le CSP est l’acte phare le plus connu et reconnu du Premier
ministre et futur président Habib Bourguiba. Conscient du conservatisme
prévalant à l’époque, celui-ci devança la Constituante pour libérer la femme et
lui restituer sa dignité. Cet acte fondateur posa la première pierre en vue
d’édifier une société plus juste et égalitaire et en phase avec son époque pour
mieux accompagner le développement économique du pays.
Bourguiba décrit le CSP comme étant «une réforme radicale»
qui allait faire du mariage «une affaire de l’État, un acte qui doit être
supervisé par le droit public et la société dans son ensemble».
A côté de ses actions dans le domaine de la santé, de
l'éducation, Bourguiba a pu imposer dès 1964 un ambitieux programme de
planification familiale, le premier dans un pays arabe. Cette stratégie
de limitation des naissances a franchi une étape importante avec la
promulgation en 1973 d’un décret-loi organisant l’interruption volontaire de
grossesse dans les trois premiers mois, une vraie révolution à l’échelle
mondiale ! Les Tunisiennes ont compris très vite l’intérêt de ces
méthodes tant sur le plan de la santé reproductive que sur le plan du
travail et de l’épanouissement personnel et familial. La connaissance et la
pratique de la contraception en Tunisie sont quasi générales. Imaginons donc ce
que serait notre pays sans cette politique de contrôle des naissances, il
aurait doublé sa population tous les 25 ans, soit une vingtaine de millions
d’âmes à nourrir et plus de 3 millions de chômeurs, situation impossible à
gérer, où la misère remplacerait la pauvreté. Ce cas de figure existe, comme
contre-exemple malheureusement, en Egypte, au Pakistan, Afghanistan, etc.
En 1973, Bourguiba tenta d'approfondir la réforme du statut
personnel en proposant un projet de loi sur l'égalité successorale entre le
frère et la sœur. Il dut faire marche arrière se heurtant à la montée des
courants conservateurs et face aux risques de réactions imprévisibles. Cet
échec signa un net recul idéologique et politique du bourguibisme, car à cette
époque les faucons du PSD devenus puissants commençaient à courtiser les
courants salafistes pour soi-disant contrecarrer l’influence progressiste et
laïque à l’intérieur du parti lui-même et celle des élites intellectuelles de
gauche et d’extrême-gauche durement réprimées. Ce faisant, ils préparaient
consciemment le lit de l’inculte et brutal Ben Ali, lequel ne manqua pas de
donner des gages aux intégristes /salafistes au début de son règne. Les hommes
et les femmes, inquiets de cette complicité, organisèrent un grand meeting de
protestation à l’espace Theatro à Tunis et recueillirent sur le champ plus de
cinq mille signatures en faveur du CSP déjà menacé par Ben Ali pour
privilégier sa vie privée au détriment de l’ensemble de la société … avec
la bénédiction de ces mêmes obscurantistes !
La question féminine est un thème récurrent en Tunisie. Dès
1868, Kheireddine Pacha considérait que l’avenir de la civilisation
islamique était lié à sa modernisation. En 1897, le cheikh Mohamed Snoussi
publia L’épanouissement de la fleur ou étude sur la femme en islam» où il
promeut l’éducation des filles. Quinze ans plus tard, Abdelaziz Thâalbi, César
Benattar et Hédi Sebaï publient L’Esprit libéral du Coran qui plaide en
faveur de l’éducation des filles et de la suppression du hijab.
En 1930, Tahar Haddad, lui-même influencé par ce courant réformiste, publia Notre femme dans la charia et la société. Il démontre dans ce document de référence la compatibilité entre Islam et modernité et l’égalité absolue entre l’homme et la femme et surtout en matière successorale.
La situation issue du 14 janvier crée un bouleversement de l’échiquier politique et un vide institutionnel sans précédent. Seules les formations salafistes tirent bénéfice de cette anarchie institutionnelle. Les hésitations et l’amateurisme du premier chef de gouvernement de la transition plombent le pays ; comble de maladresse, quand ce même Premier ministre, poussé par la colère des indignés de la Kasbah II à la démission, proposa, sans consulter quiconque, la tenue d'une Constituante : quelle catastrophe ! Tous ces éléments ont fait naître la confusion dans les esprits et le désordre politique dans le pays. Malheureusement, personne, au sein de la classe politique actuelle, n’est en mesure ou ne désire inverser le cours de la feuille de route, sauf en cas de sursaut républicain et populaire. Les Tunisiens et Tunisiennes, en boudant massivement la campagne des inscriptions sur les listes électorales donnent déjà un avertissement sans ambiguïté. Affirmer que le Tunisien n’est pas mûr pour la démocratie revient à adopter une théorie essentialiste développée par tous les mouvements d’extrême-droite. C’est une insulte suprême envers le peuple tout entier. Ce dernier a pris une position claire contre la Constituante et refuse l’idée d’une telle consultation car le choix d’une Constituante pour «débénaliser» le pays et en préparer un avenir prétendument radieux l’incluant dans la modernité s’avère périlleux sinon producteur d’effets pervers en plongeant le pays dans l’inconnu et l’impasse. Les partis politiques brouillent les cartes et les citoyens et citoyennes, assistent à des alliances contre-nature : des partis, en apparence progressistes, se rallient à des formations salafistes dont les objectifs politiques sont à géométrie variable mais bien ciblés : la femme et son retrait du champ public.
En 1930, Tahar Haddad, lui-même influencé par ce courant réformiste, publia Notre femme dans la charia et la société. Il démontre dans ce document de référence la compatibilité entre Islam et modernité et l’égalité absolue entre l’homme et la femme et surtout en matière successorale.
La situation issue du 14 janvier crée un bouleversement de l’échiquier politique et un vide institutionnel sans précédent. Seules les formations salafistes tirent bénéfice de cette anarchie institutionnelle. Les hésitations et l’amateurisme du premier chef de gouvernement de la transition plombent le pays ; comble de maladresse, quand ce même Premier ministre, poussé par la colère des indignés de la Kasbah II à la démission, proposa, sans consulter quiconque, la tenue d'une Constituante : quelle catastrophe ! Tous ces éléments ont fait naître la confusion dans les esprits et le désordre politique dans le pays. Malheureusement, personne, au sein de la classe politique actuelle, n’est en mesure ou ne désire inverser le cours de la feuille de route, sauf en cas de sursaut républicain et populaire. Les Tunisiens et Tunisiennes, en boudant massivement la campagne des inscriptions sur les listes électorales donnent déjà un avertissement sans ambiguïté. Affirmer que le Tunisien n’est pas mûr pour la démocratie revient à adopter une théorie essentialiste développée par tous les mouvements d’extrême-droite. C’est une insulte suprême envers le peuple tout entier. Ce dernier a pris une position claire contre la Constituante et refuse l’idée d’une telle consultation car le choix d’une Constituante pour «débénaliser» le pays et en préparer un avenir prétendument radieux l’incluant dans la modernité s’avère périlleux sinon producteur d’effets pervers en plongeant le pays dans l’inconnu et l’impasse. Les partis politiques brouillent les cartes et les citoyens et citoyennes, assistent à des alliances contre-nature : des partis, en apparence progressistes, se rallient à des formations salafistes dont les objectifs politiques sont à géométrie variable mais bien ciblés : la femme et son retrait du champ public.
A cela s’ajoute la complicité explicite de certains
médias qui invitent à l’envi des formations politiques de référence islamique
et négligent les formations progressistes, féministes et républicaines.
L’Association Egalité et Parité mène un combat sans merci contre cette
connivence opportuniste des médias avec le courant obscurantiste. Le «4e
pouvoir» ne sortira pas indemne de cette collaboration. Si le peuple tunisien,
compte tenu de sa modération, n’a pas jugé bon de demander des comptes aux
journalistes qui ont fabriqué l’image de Ben Ali, rien n’indique qu’il fermera
à nouveau les yeux.
La Tunisie a réussi un combat magnifique en chassant le
dictateur-usurpateur Ben Ali. Cette action héroïque, exemplaire doit être
concrétisée et complétée par un acte fondateur, se déclinant, selon nous
en trois axes :
·
Au regard de la
désaffection des populations concernant les inscriptions dans les fichiers
électoraux, l’insécurité prévalant dans le pays, les incivilités permanentes,
la transgression des lois, la classe politique est invitée à prendre ses
responsabilités historiques pour mettre fin à l’épisode de la Constituante et
la remplacer par des élections législatives et un référendum sur un projet de
Constitution, solution peut-être moins spectaculaire mais plus démocratique,
plus lisible, facile, rapide, garde-fou contre l’inconnu et le marchandage
annoncé sur les droits des femmes. Or, il n’y a rien à négocier avec des gens
qui brandissent la Charia, en lieu et place de la raison.
·
Etablir rapidement des
dispositions juridiques pour combattre la violence à l'égard des femmes aussi
bien dans la sphère publique que dans la sphère privée en
criminalisant particulièrement : la violence psychologique, le
harcèlement, la violence physique. En premier lieu, la Tunisie post 14-Janvier
doit lever les réserves et appliquer la Convention internationale pour
l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes, à
l’instar du Maroc.
·
Rendre les médias publics
(radios et télévisions) au peuple tunisien pour assurer une réelle et objective
couverture de son vécu et non le caricaturer à longueur d’émissions et de
feuilletons redondants de stéréotypes visant à masquer l’évolution de la
société et du rôle de la femme en particulier. Cesser de pratiquer la
désinformation et d’encourager la haine entre les régions par des informations
très séquentielles, forcément partisanes et déconnectées de la situation
d’ensemble du pays. A ce sujet, nous proposons de mettre immédiatement en place
des dispositifs de contrôle citoyen sous forme d’un Conseil d’administration et
de monitoring pour chaque institution, formé à parité égale entre hommes
et femmes provenant de la société civile et de personnalités indépendantes.
Autrement, rien ne justifie un financement public de ces médias.
Le
CSP est un acquis non négociable, bien au contraire, il faut l’harmoniser avec
tous les traités et conventions ratifiés par la Tunisie, et ce, avant la
rédaction de la prochaine Constitution. Toute tentative de régression en
matière de droit des femmes entraînera automatiquement celle de la
société tout entière. Le peuple qui a eu le courage de chasser Ben Ali et
ses sbires se mobilisera pour défendre ses acquis sociétaux.
Terminons
avec ce proverbe arabe : « Qui veut faire quelque chose trouve un
moyen. Qui ne veut rien faire trouve une excuse.»
Mustapha
STAMBOULI (13/08/2012)