L’excellent article du constitutionaliste Rafaa Ben Achour sous le titre « le mandat constitutionnel
prend fin le 22 octobre » suffit à lui seul pour nous convaincre de l’urgence
de trouver une alternative au vide constitutionnel à partir du 22 octobre
prochain. Nous n’allons pas revenir sur cette question de légitimité, car l’expertise
est faite et inutile de s’étaler dessus.
La situation économique et sociale est explosive ! La
décision prise par le Forum de Davos pour ne pas évaluer les performances de
notre pays dans son édition 2012-2013 dit long sur l’état de délabrement de
notre économie et sur le climat défavorable pour l’investissement à moyen et
long terme. L’article que j’ai publié hier et intitulé « Davos s’invite à Tunis ! » donne un éclairage détaillé sur cette grave décision qui risque de
tarir toutes les sources de financement extérieur.
Une situation grave, critique, et délicate exige de nous la mise en place d’une transition consensuelle pour
éviter l’installation d’une dictature ou l’implosion de la République et de ses
institutions.
Deux alternatives s’offrent à la Tunisie :
(1) attendre le 23 octobre et subir la solution qui ne peut
être qu’autoritaire : (a) le pouvoir actuel passerait outre la légalité et
installerait une dictature en imposant une feuille de route qui
l’arrangerait ; (b) l’institution militaire, garante de la République,
serait obligée de prendre les choses en main et installerait une transition
qu’elle jugerait nécessaire pour la sécurité intérieure et extérieure du
pays ;
(2) préparer, dès maintenant et soigneusement, la prochaine
transition en ayant présent à l’esprit l’intérêt général de la Nation et de la
République. Une solution réfléchie et consensuelle doit être trouvée rapidement
sans exclusion d’aucune partie. Trouver le dénominateur commun sur lequel nous
construirons le futur tunisien. La piste la plus simple et la plus sûre
consisterait à convoquer, ce mois de Septembre, une Conférence Nationale des
Forces Vives de la Nation afin d’arrêter un agenda simple et clair pour sortir
le pays du vide constitutionnel et le remettre au travail en vue de concrétiser
les exigences et les revendications du peuple. Seules des concessions
permettront de réussir ce rendez-vous de la dernière chance.
Le premier pas à faire est que cette idée de Conférence
Nationale soit acceptée solennellement par les trois instances de la
transition actuelle (ANC, gouvernement et président provisoire) et les Forces
Vives de la Nation par l’intermédiaire de déclarations officielles.
La seconde étape de ce processus est la mise en place d’un
Comité National Préparatoire de la Conférence Nationale (CNP-CN) dont la
désignation devrait faire l’objet d’un décret présidentiel après accord du
gouvernement et de l’ANC. Cet organe provisoire doit être composé de 6 à
9 membres choisis pour leur républicanisme, leur intégrité morale et leur
compétence. Des personnalités ayant une expérience certaine dans les processus
institutionnels comme Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah, Mustapha Filali,
Rachid Sfar, Sadok Belaid et Sonia Ben Achour peuvent former le noyau central
de ce CNP-CN. Ils sont, de notre point de vue, capables de préparer les travaux
de la Conférence Nationale. Ce comité aura pour charge, essentiellement, de
définir les modalités pratiques de l’organisation de la conférence, d’en
arrêter le programme et d’élaborer les documents de base. Ce Comité
pourrait faire appel à toute personne ou créer tout groupe de travail et
recueillir toute suggestion. Le Comité devrait remettre son rapport aux trois
présidents au plus tard 30 jours après la publication du décret de création du
CNP-CN.
Ce Comité devrait répondre d’une manière précise aux huit questions fondamentales suivantes : (1) Qui convoquer à la Conférence Nationale ? (2) Que discuter lors de la tenue de la Conférence Nationale ? (3) Comment organiser cette Conférence ? (4)quelle durée pour la tenue de cette Conférence ? (5) Quel contenu donner au règlement intérieur de la CN ? (6) Quelle loi fondamentale adopter pour gérer la nouvelle transition ? (7) Faut-il remettre «en service » la Constitution de 59 afin d’éviter le vide constitutionnel ? (8) Quels documents fournir aux délégués de la Conférence afin de faciliter le travail des Commissions de la CN ?
A l’évidence, la question de la souveraineté de la CN
devrait être clarifiée avant la convocation de cette dernière. A notre avis, la
Conférence Nationale doit être souveraine et ses décisions
exécutoires. Cette Assemblée devra publier, dès les premiers jours de sa
tenue, une Déclaration sur les objectifs et les compétences de la Conférence
Nationale.
Les discussions et les décisions de la CN devront aider
l’installation de la nouvelle transition et garantir la continuité de
l’Etat : (1) dissolution des organes issus des élections du 23 octobre
2011 et mise en place d’un nouvel exécutif à la tête de l’Etat en fonction des
dispositions de la loi fondamentale provisoire à adopter ; (2) désignation
d’un organe législatif de transition ; (3) désignation d’une instance
composée spécialement de personnalités indépendantes en vue d’achever le projet
de Constitution qui ne peut être que l’amélioration de la Constitution de 59
par des dispositions pertinentes et soumettre ce projet de Constitution à un
référendum populaire ; (4) établissement d’un agenda et d’un calendrier
précis de la nouvelle transition tout en responsabilisant le nouveau Chef de
l’Etat intérimaire dans cette tâche ; (5) établissement d’un Code
électoral tenant compte de la configuration actuelle du paysage politique et
mise en place de l’Administration électorale, organe indépendant de l’exécutif
intérimaire.
Nous avons l’obligation de commencer ce processus de Conférence Nationale au plus tard dans une semaine ou deux. Au-delà, cette proposition deviendrait caduque et sans intérêt eu égard à l’imminence de la date fatidique du 23 octobre 2012.
La déconfiture généralisée née de l’échec de toutes les
transitions exige de la classe politique une décision salutaire
pour convoquer une Conférence Nationale, seule capable de remettre le pays sur
le chemin de la construction et du progrès. Le peuple ne pardonnera jamais cette
classe politique si elle échoue à réinstaller la sécurité, à préserver les
acquis républicains et redémarrer l’appareil productif et l’économie en général
en vue de créer des emplois et réduire la pauvreté.
Tout le monde est averti de la gravité de la
situation ! L’existence de la République et du modèle sociétal moderniste
tunisien sont menacés si on fait rien, car ne rien faire, c’est accepter la
gabegie et désordre. Ne pas réagir aujourd’hui, c’est aussi forcer la main à
l’institution militaire pour sauvegarder la République, acte salutaire mais
fragilisant à terme cette glorieuse institution.
La Conférence nationale souveraine est indispensable pour
sortir la Tunisie du blocage politique et social dans lequel elle est plongée depuis le 14 janvier 2011. Un consensus national devra se dégager de cette
conférence de la dernière chance pour retrouver sérénité, progrès et paix. Vive la République !
Vive la Tunisie!
Mustpha STAMBOULI