05 mai 2012

Décentralisation intégrale: une option inévitable


Le constituant-député de Sfax pour le parti Afek Tounes  a attaqué sans ménagement  le gouvernement provisoire pour avoir annulé à la dernière minute une programmation d’infrastructures de base au profit de la ville de Sfax (CHU et plusieurs diffuseurs routiers).Il y a plusieurs mois un panel de ministres vint informer les habitants de Sidi Bouzid de la programmation d’un ensemble de projets dans la région. Les populations des autres villes du gouvernorat,  s'estimant lésées par cette programmation hâtive, forcément inéquitable, ne prenant pas en compte les besoins vitaux de la zone, se soulevèrent.

Ces deux exemples prouvent que la gouvernance centralisée à partir de la Capitale est rejetée par les populations des régions et des communes. Vouloir persister dans cette direction, c’est ramer contre courant et bloquer in fine le développement du pays et son efficacité économique. Aucun gouvernement ne pourra imposer des choix préfabriqués et partisans à moins de réinstaller une nouvelle dictature. Hypothèse impossible après le 14 janvier 2011. Le peuple n’acceptera plus sa mise sous tutelle quelque soit le motif. L’Etat central est remis en cause et contesté dans ses décisions de planification, de programmation et d’arbitrage.
Sommes-nous condamnés à subir un modèle d’organisation administrative et économique critiqué de tout bord et rejeté aussi bien par les régions de l’Intérieur que par les régions du Littoral ? Le pouvoir central est accusé, à juste titre, de dépenser l’essentiel des fonds publics pour  des projets concernant la région-capitale dans le but  de résoudre les problèmes de surpopulation et de transport. Il est temps de mettre à plat toutes les questions d’organisation et d’aménagement du territoire. Investir sans avoir une vision claire revient à gaspiller l’argent du peuple.
Pour redonner du sens à la vie en commun, il faudrait mettre en place une gouvernance républicaine basée sur l'implication du peuple dans la prise de décision. Ce processus pourrait être organisé selon de nouveaux modes de pouvoir, de nouvelles pistes de représentativité et d'outils de  démocratie directe  et participative avec un pouvoir local très engagé dans la citoyenneté et le développement en sus de ses prérogatives en matière de gestion de la Cité. Ce mode de gouvernance pourra, à terme, réinstaurer  la confiance entre le citoyen et les représentants politiques et conforter son adhésion aux institutions républicaines.
L’abandon du centralisme au profit de la double décentralisation régionale et locale peut constituer une piste de réflexion pour une meilleure gouvernance et davantage d’équité.
Que signifie la  décentralisation sinon  le  transfert de compétences de l'État à des institutions distinctes et indépendantes ? Cependant l’Etat unitaire garde des prorogatives fortes en matière de défense, politique étrangère, planification stratégique, politique monétaire et législation nationale. Les politiques de développement doivent être intégralement déplacées vers les régions et les communes de même que les ressources.
Dans une optique décentralisatrice, l’Etat doit réviser sa planification nationale pour être moins prescriptif, plus incitateur et régulateur. Pour exercer pleinement ses fonctions stratégiques, l’Etat devrait adopter des politiques de contrat-programmes dans ses relations avec les régions autonomes et les communes.  
Le transfert, le plus rapidement possible de la Capitale vers le Centre du pays, constituerait un acte-phare. Ce Centre, une fois acquis des potentialités économiques importantes et un système d’infrastructures stratégiques performant, serait en mesure d’entrainer les régions de l’intérieur (Kasserine, Sidi Bouzid) dans une dynamique et un processus de développement effectif. Cette dynamisation du Centre favoriserait l’émergence d’une Métropole internationale avec quatre appuis fondamentaux : (1) Kairouan comme capitale du pays en remplacement de Tunis, (2) M’saken, plateforme logistique de premier plan, (3) Sousse/Monastir / Mahdia pôle de développement touristique et de services (4) Kasserine / Sidi Bouzid, zone de développement agricole et de transformation. Cette Métropole, cœur de développement, pourrait entrainer dans son sillage Gafsa et Siliana. Ce processus de délocalisation des activités de la région de Tunis vers le Centre ne peut être que bénéfique pour le pays et pour les finances publiques.
Le second acte fort de la décentralisation consiste à confier aux régions l’arsenal  de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Les régions sont les mieux placées pour comprendre et analyser la problématique de l’emploi et de la formation en fonction des besoins des entreprises implantées dans leur zone.
La mise en place progressive d’une fiscalité locale afin d’assurer l’autonomie financière aux  régions et aux communes constitue   la condition nécessaire pour leur assurer une autonomie effective et viable.
Sur le plan institutionnel, les instances régionales doivent être élues au suffrage universel. Le gouverneur, première autorité de la région devra être élu directement par les citoyens pour être accepté et non contesté... Les scènes de ces dernières semaines réclamant le «dégagement» de gouverneurs parachutés d’en haut illustre le refus du centralisme bureaucratique et partisan.
Un Conseil économique, social, environnemental regroupant les compétences régionales en matière de développement (CESER) doit être crée afin de remplir une mission de consultation auprès des instances politiques de la région. La saisie pour avis du CESER est obligatoire, avant examen par le conseil régional des documents relatifs :
·         au projet de budget de la région et de son bilan annuel d’exécution;
·         aux schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire.
Pour conclure, notre système territorial malade nécessite une intervention chirurgicale d’urgence. Faute de choix clairs et courageux, l’autorité de l’Etat s’érode chaque jour un peu plus. Refuser ou reporter cette décision de décentralisation intégrale signifie négligence et trahison envers la République  et l’Unité Nationale.
Avons-nous le choix de différer la réorganisation du territoire tunisien sur la base du principe de subsidiarité impliquant les citoyens et citoyennes directement ou indirectement dans la gestion territoriale pour assurer le bien-être de tous et de toutes ?
Vive la République citoyenne.
Mustapha STAMBOULI
PS: Suite aux discussions sur Facebook, il nous a été donné de préciser le concept du transfer de la Capitale:
"Pour ceux qui s’inquièrent du transfert de la Capitale, je dirai ceci : (1) le transfert de la Capitale est une bonne action pour Tunis. Sa ceinture noire l'engloutira si on poursuit le rythme de croissance. La migration est inquiétante, avec 3 millions d’habitants le grand Tunis deviendra (10-12 ans) ingérable de tous points de vue, sécurité en particulier. Pour mettre à l’aise mes amis de Tunis, cette proposition n’est pas contre eux, au contraire. (2) Nombre de pays ont opté pour ce choix de transfert de la Capitale : Brésil, Turquie, Bénin, Afrique du Sud, Birmanie, Côte d’ivoire, Australie, Allemagne et bien d’autres. Tunis coûte très cher pour le contribuable tunisien. Si on veut stabiliser les populations de Sidi Bouzid, Kasserine, Siliana, Gafsa, Metlaoui, il faudra obligatoirement déplacer le centre de gravité du pays vers ces régions citées. Sinon, ces régions se déplaceront entièrement vers la région de Tunis, comme en Egypte au Caire au Mexique au Mexico, etc. Donc Mégapoles  ingérables, creusets de misère et d’insécurité, d’inégalité,  de pollutions diverses et fiefs de mafia. Quant aux transports, il ne sera plus possible de circuler à Tunis. Je vous invite à visiter le Caire et en reparlera."