Des informations contradictoires nous parviennent chaque
jour par des canaux divers sur l’état d’achèvement de l’avant-projet de
constitution et sur la date de la disponibilité du projet de cette Loi fondamentale.
D’abord, pourquoi parle-t-on d’avant projet (AP) et projet ? : l’AP est
version non encore discutée par l’ensemble des constituants mais ses articles ont
été approuvés au niveau des commissions
selon les procédures fixés par le règlement intérieur de l’ANC. Le projet est
la version éventuellement amendée suite aux discussions plénières de l’ANC. Un
projet de Constitution devient définitif quand peuple approuve par la
voie référendaire cette Constitution afin de donner au texte
constitutionnel son caractère de norme fondamentale.
Une évaluation est toujours un exercice subjectif qu’il faut l’encadrer par une méthodologie
transparente qui, elle-même doit être basée sur un ensemble de critères et de
paramètres objectifs acceptés par le mandataire de cette évaluation. Sinon,
l’exercice d’évaluation n’est qu’un exercice de style !
Commençons à donner une définition générale d’une
Loi-fondamentale : une constitution
est un texte fondamental de référence pour tout le corpus des lois et des outils réglementaires
afin d’organiser le fonctionnement d’une Société-Nation. Elle doit être
obligatoirement cohérente, simple et compréhensible par tous les citoyens et
citoyennes pour être acceptée. Une Constitution est d’abord un projet de
société tant sur le plan éthique que
moral. Elle doit être rédigée avec l'objectif de rigueur mathématique, afin
d’éviter les interprétations abusives par la suite. Une Constitution ne doit
pas utiliser des références religieuses pour ne pas générer des citoyens de seconde zone. Une Constitution
doit promouvoir des règles du jeu sans
exclusion aucune. Tous les citoyens doivent se retrouver obligatoirement dans
cette Constitution.
Une constitution doit séparer obligatoirement les principes,
les buts et les droits qu’elle considère comme important, inaliénable, des
règles de fonctionnement.
Sur le plan pratique, la Constitution se définit comme suit :
« La Constitution est un ensemble de textes juridiques qui définit
les différentes institutions composant l’État et qui organise leurs relations.
Elle peut comporter également une charte des droits fondamentaux. Une
Constitution est généralement organisée en plusieurs parties appelées Titres,
eux-mêmes divisés en articles et alinéas ». Le préambule d’une
Constitution est aussi important que l’ensemble du texte de cette dernière. Le
préambule doit traiter obligatoirement
de l’ancrage de la Nation, de la parité homme-femme, de l'égalité des chances ; le pluralisme des
courants d'expression et des médias ; le respect de la vie privée et la
protection des données personnelles ; la bioéthique et la reconnaissance du
principe de dignité de la personne humaine.
La pertinence du contenu d’un avant-projet de constitution
doit se mesurer à partir des impacts des dispositions de cette Loi fondamentale
sur les plus faibles et les plus vulnérables des membres de la communauté qu’elle organise en particlier femmes, enfants, chômeurs, etc. .
Ce projet de "Loi Supérieure" garantit-il l’éducation de base, l’accès
aux soins de santé, le travail, un revenu minimal pour tous et toutes. Cette minute
de « Loi des Lois» préserve-t-elle la dignité morale et matérielle des
personnes âgées et des personnes handicapées ? Cette Constitution
préserve-t-elle le droit des générations futures à un environnement sain ?
Nous avons appris aussi par les medias que nos imminents
spécialistes en droit constitutionnel vont se pencher, dans les prochains jours,
sur l’examen de l’avant-projet de Constitution préparé par les Commissions
issues de la Constituante. L’Association tunisienne de Droit constitutionnel
(ATDC) devance tout le monde et consacre
une table ronde groupant 10 intervenants de renom ! Il sera question dans
cette rencontre d’examiner : (1) le préambule
et les principes fondamentaux, (2) de la liberté de conscience, de
religion et libre exercice du culte,(3)de l’égalité et non-discrimination (4)
des restrictions aux droits et libertés, (5) le droit international dans le
projet de constitution, (6) la nature du régime politique, (7)le pouvoir
juridictionnel, (8)les instances constitutionnelles, (9) la démocratie locale.
Cette démarche d’examen de l’avant projet par nos
spécialistes constitutionalistes est-elle spontanée ou une commande passée par
la troïka afin d’orienter le débat général, lors de séances plénières qui vont
s’organiser à partir du 15 septembre prochain ?
Comment les organisateurs de cette rencontre ont-ils choisi
les thèmes à discuter ? A notre avis les neuf interventions ne couvrent
pas l’intégralité des sujets sensibles que doit traiter la Constitution !
Pourquoi l’Association n’a pas fait appel à des spécialistes thématiques pour
traiter des aspects spécifiques (développement durable, décentralisation,
finances publiques, précarité des personnes vulnérables, etc.) ? Les
organisateurs de ce Forum comptent-ils publier un livre blanc englobant les
réflexions, recommandations et conclusions en rapport avec l’avant-projet de
Constitution (APC) ? Pourquoi l’aspect méthodologique de la rédaction du
projet de Constitution a été oublié des discussions ? L’ambiance dans
laquelle se sont déroulés les tractations et le marchandage pour aboutir au
produit disponible aurait été une intervention intéressante !
Trop de questions méritent clarification de la part de
l’ATDC pour éviter des malentendus et des critiques qui vont jaillir bientôt.
L’exercice mérite d’être fait mais pas dans les conditions
préconisées. D’ores et déjà, nous avons beaucoup de réserves sur le contenu de
ce symposium d’examen de l’APC, sur la méthodologie de l’approche adoptées et surtout
sur le timing. Je pense qu’il est prématuré de procéder à cet exercice et qu’il
aurait été plus opportun d’attendre les premières séances de discussions de nos
valeureux constituants. Organiser une telle rencontre aujourd’hui, c’est vouloir
orienter les débats et l’influencer, ce qui n’est souhaitable !
De toutes les manières, le peuple tunisien n’a pas encore
digéré les textes préparés durant la première transition et plus
particulièrement le Code électoral qui a été rédigé par certains de ces
imminents spécialistes en droit constitutionnel. Ce code est à l’origine du
malheur tunisien et du blocage politique actuel dans le pays. Comment peut-on
faire confiance à des gens qui n’ont pas songé introduire le second tour dans
le scrutin des élections de la Constituante pour les autoriser à évaluer,
à notre place, l’APC ? Un second tour aurait changé complètement la
configuration de l’ANC !
L’Association tunisienne de droit constitutionnel aurait
mieux fait d’organiser une réflexion sur la fin de légitimité électorale
des instances issues des élections du 23
octobre 2011 et de chercher voies et moyens pour sortir le pays de ce blocage
institutionnel. Ce débat sur la légitimité est plus opportun et plus utile pour la Nation car dans l’état actuel des choses. Discuter de l’avant-projet de
constitution est anachronique eu égard de la fin de la mission de l’ANC à
partir du 23 octobre. Ce forum de l’ATDC rajoute une couche dans la confusion
ambiante ! Qui serait le bénéficiaire de cette confusion ?
Certainement pas le peuple !
Pour terminer, je dirai que si la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires, la Constitution n’est-elle pas une chose trop sérieuse pour être laissée aux juristes? Autrement, ce groupe de constitutionalistes est-il habilité de procéder à cet exercice d’évaluation ? Ses conclusions seront-elles prises en compte dans le débat national et sous quelle forme ?
Mustapha STAMBOULI