« Le moins mauvais système politique est celui qui permet aux
citoyens de choisir l'oligarchie qui les gouvernera. On l'appelle généralement
la démocratie. »
Enfin la Libye peut être considérée comme un pays «normal» :
il aura dans quelques semaines un parlement, un gouvernement, une justice, et dans
quelques mois une Constitution après quarante ans de pouvoir clanique sans structure d’Etat.
Huit mois après la fin de l’agression étrangère qui a provoqué
la mort de Mouammar Kadhafi et la chute
de son régime, 1,7 millions d'électeurs
ont participé effectivement à élire les 200 représentants du "Congrès national libyen" parmi
3 700 candidats donnant un taux de participation
au scrutin de l’ordre de 60%, selon les résultats préliminaires annoncés par la
Commission électorale dans la soirée du 8 juillet 2012.
Contrairement aux pronostics, les libéraux, Alliance des forces
nationales, ont fait le plein au détriment des
frères musulmans, donnés gagnants des élections du samedi 7 juillet
2012. Selon les premières estimations, la coalition des libéraux dispose d’une nette avance aux élections
législatives à Tripoli et à Benghazi, les deux principales agglomérations du pays.
Des taux dépassant parfois les
90% !
La coalition libérale en Libye ne ressemble nullement à des
libéraux en Europe ou en Tunisie. Il ne faut pas se tromper de nomenclature
politique : un libéral en Libye, c’est un islamiste modéré qui refuse le
« Jihad » et le « wahhabisme saoudien », danger qui menace l'islam, les
musulmans ainsi que l'humanité entière. Les libéraux libyens comptent
appliquer, quand même, la charia islamique, allant jusqu’à promettre l’établissement
de la polygamie !
En tout cas, les principaux perdants de ces élections sont, bien
entendu, les saoudiens et les qataris qui ont financé lourdement la campagne
électorale des frères-musulmans libyens. En attendant les résultats définitifs
et les analyses des spécialistes, nous pouvons dire que le vote était
massivement tribal et non religieux et que les kadhafistes ont fait la
différence en votant massivement pour les libéraux.
Cette assemblée libyenne n’a pas pour objet de rédiger la future
Constitution libyenne. Ses prérogatives seront celles d’un parlement : voter
des textes législatifs et réglementaires, adopter des budgets et suivre
l’action gouvernementale. La Constitution sera rédigée par un comité composé de
représentants élus des trois régions (20 élus par région).
Les libyens ont tiré profit de l’expérience chaotique de la
transition tunisienne. Celle-là a pris l’option de la Constituante pour réinstaller la légitimité après l’implosion
du régime illégitime de Ben Ali. Le choix de cette feuille de route au
détriment de l’option référendaire réclamée par plus de la moitié de la
population, plus d’une cinquantaine de partis politiques et surtout par
l’écrasante majorité des intellectuels indépendants, signe, à notre avis,
l’absence d’une lecture visionnaire de la classe politique tunisienne. L’optique référendaire,
solution, peut-être moins spectaculaire dans les mots et l’émotion, mais
plus démocratique, facile, rapide, se serait révélée garde-fou contre l’inconnu
et pratique réellement citoyenne en phase avec les demandes du peuple tunisien.
Les libyens ont évité ce
piège de la Constituante et ont préféré séparer les deux instances : une
qui va durer normalement un mandat électoral et permettre d’installer un
gouvernement non provisoire issu de la majorité parlementaire et des
indépendants pour diriger le pays avec un programme à court et moyen terme et
une instance spécialement pour rédiger la Constitution. Sa durée de vie
correspond au temps nécessaire pour finaliser cette charte fondamentale du
pays.
Le grand gagnant de ces élections est, sans conteste, le
charismatique Mahmoud Jibril, grand
rassembleur pour l’unité nationale. N’a-t-il pas dit « Nous sommes ouverts
à tout le monde pour créer une plateforme commune. Nous avons toujours
dit que nous souhaitions créer un gouvernement de coalition.»
Les islamistes tunisiens subissent, encore une fois, un échec à
l’extérieur : la Libye aujourd’hui, l’Algérie, il y a un mois. L’étau se resserre sur Ennahdha : une équation
régionale défavorable et une tension interne allant en s’intensifiant jusqu’à
la date fatidique du 23 octobre prochain.
Contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, la Libye, malgré les
difficultés de création d’un Etat, est sur le bon chemin si elle déjoue le
complot sioniste qui vise l’éclatement de la Libye en trois entités distinctes
et celui du Qatar qui veut imposer à la Libye son Riyal et une mainmise sur son
pétrole et son gaz. La Libye doit combattre cette hégémonie visant à faire de
la Libye un Émirat sous tutelle golfique.
Deux défis de taille attendent
la Libye : (1) comment le prochain régime libyen compte-t-il régler le désir
séparatiste du peuple de Cyrénaïque qui espère profiter seul des richesses
pétrolières ? La Constitution doit trouver une solution pérenne permettant
de garder une Libye unie et solidaire et des provinces intégralement
décentralisées et financièrement autonomes. Seule cette formule pourrait éviter
à la Libye une implosion certaine et une guerre civile programmée ! (2) Le
prochain gouvernement serait-il en mesure de pacifier rapidement le territoire
libyen et mettre fin aux diktats des milices et des bandits de tout bord. Sans
la sécurisation des frontières, la Libye n’est qu’une Somalie en puissance.
Mustapha STAMBOULI