Le changement politique opéré depuis le 14 janvier 2011 a
entrainé certaines libertés, cependant la montée de l’extrémisme religieux
fragilise le statut des femmes et l’état sociétal de la Tunisie. Les fillettes
sont particulièrement visées par
l’idéologie wahhabite.
Depuis la Révolution / Révolte, les enfants demeurent
témoins sinon victimes de violence. A leur insu, ils ont perdu, au cours du
processus insurrectionnel, une part de leur innocence…. de leur enfance.
Ni enfants, ni adultes, les voilà en grand nombre aujourd’hui ! Psys de toute discipline, enseignants/tes,
membres d’associations, s’accordent pour constater cet état d’entre deux
porteur d’instabilité, d’angoisses, de fragilité. Cependant, aucune statistique
n’a été publiée sur ces pathologies diverses. Pas davantage sur la récurrence
ou la rémission de celles-ci selon le genre, l’âge ou l’appartenance sociale
de l’enfant- fille ou garçon. Alors,
pourquoi ce titre « Fillettes en danger » ? Pourquoi convoquer
un sexe plutôt qu’un autre ? Et là, force nous est d’évoquer une série
d’observations, constats, scènes appréhendées dans la rue ou des espaces publics…..à
vous paralyser tellement la violence infligée à certaines fillettes vous fige
et vous fixe dans une indignation et une répugnance sans mot ! Bouche cousue,
restons-nous, hélas ! De fait, voici des fillettes voilées, bientôt
ensevelies sous un niquab, tristes petits clowns déguisés en vêtements infâmes.
Indignation : ces enfants, sous influence, flattées et
manipulées dès l’âge de 4-5 ans par leur entourage familial et le discours
obscurantiste distillé ne disposent d’aucun recours contre la décision
parentale. N’étant nullement sujet, l’enfant devient objet des obsessions et
convictions d’autrui. Dans une société patriarcale, la loi du père, souvent
relayée par la mère, fait foi. Pas d’objection, pas de discussion : soumission
intégrale. Le moi de l’enfant n’existe pas : nié, écrasé déjà. Et si
d’aventure, par un interstice, (un impensé), la fillette se rebiffait ou
s’étonnait, on imagine les menaces psychologiques sinon physiques à son
encontre. De plus, l’identification à la mère elle-même voilée ou
« niquabée » rend impossible un quelconque refus filial. Au
contraire, la fillette acceptera d’autant plus aisément sa tenue vestimentaire
présentée comme islamique qu’elle aura l’illusion –entretenue- d’accéder au
monde des femmes adultes c’est –à- dire qu’elle fera l’impasse sur son enfance,
sur un développement physique, mental, psychologique « normal », évolutif : jeux
interdits, exercices physiques, sports considérés comme «haram ». Ton corps emprisonné fillette, c’est le
garant de ta sécurité, de ta vertu !
De quelles pathologies ces fillettes «bâchées» vont-elles souffrir à
l’approche des mois d’été ? Transpiration, maladies cutanées, surpoids,
etc… Si, par chance, quelques unes d’entre elles iront à la plage, quel
bénéfice, quel plaisir retireront-elles, encagées sous des épaisseurs collant à
leur peau, entravant leurs gestes ? Canetons, chiots, oisillons sont plus
libres de s’amuser, d’évoluer dans l’eau qu’elles.
Répugnance : Quelle citoyenne tunisienne une fillette
ainsi marquée va-t-elle produire ? Va –elle- décider de son choix de
vie ? Pourra –elle- devenir sujet et être partie prenante du destin
collectif de son pays ? Car le but réel, sous cette mise sous voile
précoce, se résume à soustraire l’enfant au féminin de la vie publique le plus
rapidement possible, au besoin de l’école
(sauf coranique) - c’est-à-dire de
l’abstraire de son histoire personnelle et nationale, sa parole n’ayant aucune
valeur dans le champ citoyen. Soyons clairs : retirer à la femme sa
capacité à élaborer un discours signifiant sur elle et sur sa société, voilà
l’objectif ultime et affiché des obscurantistes. La réduire à nouveau à sa
seule fonction de reproductrice dans le
caché, dans le dissimulé- dans la honte, voilà leur « programme ».
Objet sexuel, mise sur le marché matrimonial dès l’âge de 12 ans et même pour
les charlatans de la doxa dès huit ans, l’existence de la fille se ramènera à
un marchandage incessant, virulent sur ses atouts supposés dans les délais
les plus brefs. Cette mise sous tutelle, défiant Loi et Raison équivaut à une
mise à mort .Ainsi, les salafistes/ obscurantistes cherchent-ils à oblitérer
des décades de luttes d’émancipation féminine et, bien sûr, éraser le CSP. Au –
delà des pratiques de ré-enfermement des fillettes et du discours réactionnaire
diffusé et propagé par les franges extrémistes du pays, c’est le futur de la
Tunisie qui se dessine sous nos yeux sur un mode irrationnel et oppressif.
Alors, un seul impératif doit nous
animer. Exigeons des partis politiques progressistes, de la société civile, des
associations, qu’ils condamnent paroles et pratiques discriminatoires à l’égard
des fillettes. Obligeons le pouvoir à sanctionner les parents : qu’aucune
enfant ne franchisse le seuil de l’école voilée : son audition est affectée,
sa communication avec son instituteur/trice et ses camarades annulée, sa
participation entravée : quels messages, quels savoirs peut-elle
appréhender et retenir empêtrée dans les voiles de la honte et d’elle-même ?
Nous récusons l’objection à l’interpellation du pouvoir car lui seul fait
respecter la Loi, lui seul gère la vie privée par l’intermédiaire du CSP fondé
sur le respect et l’égalité des sexes. C’est
l’Etat, en Tunisie comme ailleurs dans le monde qui régit le droit de la
famille. Si des parents s’obstinent à envoyer leurs fillettes voilées à l’école
ou les en retirent, qu’ils soient poursuivis par la justice, comme ce fut le
cas en Grande-Bretagne au début du XXème siècle. Un corps de contrôleurs fut
créé pour s’assurer de la présence ou non des enfants à l’école, se rendant au
besoin au domicile des parents fautifs ….Au nom des fillettes, au nom de la
dignité et de l’égalité, au nom des conventions internationales signées et
ratifiées par la Tunisie, au nom de l’amour à porter aux enfants sans
discrimination de sexe, dénonçons des conceptions et actions rétrogrades
hypothéquant l’avenir des fillettes et de la société toute entière. Opposons à
jamais à ces pauvres fillettes de rose vêtues et voilées, en pleurs, la main
paternaliste d’un prédicateur sur l’épaule de l’une d’entre elles( élue, choisie ?)
à Zarzis à Nairouz Belaid , fillette aux yeux grands ouverts sur la foule, le
monde , image d’une enfant magnifique , symbole de toutes les possibilités , de
tous les courages pour l’édification d’une Tunisie débarrassée de la barbarie
qui l’a meurtrie ,elle, sa jeune sœur comme elle atteint tant d’autres
fillettes anonymes.
Danièle Chauchix-STAMBOULI