Au milieu de l’euphorie créée par la chute du dictateur Ben Ali,
nombre de citoyens, citoyennes, militants et militantes de l’extrême gauche, du
centre gauche, réactionnaires, rétrogrades ont réclamé l’instauration d’une
Constituante afin de balayer les institutions d’un régime déchu, honni.
Beaucoup ont exigé l’abolition de la Constitution de 1959. Or, ce texte,
fondateur de la République, demeure un document exceptionnel par sa rigueur, sa
pertinence, son contenu équilibré préservant notre identité arabo-musulmane
tout en garantissant la liberté de conscience et en inscrivant la Tunisie dans
la modernité.
Le fait que vous, membres de l’ANC, ayez reconduit l’article 1er de cette Constitution démontre, à l’évidence, la validité de celle-ci et son adéquation avec notre siècle. Cet article 1er peut être considéré, à lui seul, comme une loi fondamentale.
Après mûre réflexion, nous vous demandons, vous membres de l’ANC, d’organiser un débat national se basant sur le dialogue, le consensus et le choix collectif des décisions afin d’éviter l’irréparable. Nous proposons un processus de Conférence Nationale Souveraine des Forces Vives de la Nation (CNS-FVN).
Le fait que vous, membres de l’ANC, ayez reconduit l’article 1er de cette Constitution démontre, à l’évidence, la validité de celle-ci et son adéquation avec notre siècle. Cet article 1er peut être considéré, à lui seul, comme une loi fondamentale.
Or dix mois après votre élection, force de constater que ni
équilibre ni sérénité n’ont été restaurés. Le peuple doute et se révolte.
Vous et l’exécutif émanant de votre volonté êtes responsables de
cette situation. En quoi ?
i- Vous avez élu un président
provisoire sans pouvoir réel, sans cesse en recherche d’autorité :
l’affaire de l’ex-premier ministre libyen Monsieur Mahmoudi illustre la
cacophonie prévalant au sommet de l’Etat.
ii- Vous avez désigné un gouvernement
inefficace dont le bilan économique s’avère désastreux, ce que signalent les
indicateurs macro-économiques au rouge : déficit budgétaire avoisinant les
10%, déficit record de 6 Milliards de dinars tunisiens de la balance
commerciale, caisse de compensation mal maitrisée plombant le budget de l’Etat,
ventes des intérêts tunisiens au capital étranger sans réflexion aucune. Un
gouvernement qui fait tout pour étouffer les libertés d’expression et de
conscience – affaire Dar Essabah, cas de Fehri, patron d’Attounisia, censure d’articles, attaques
répétées à l’encontre d’artistes ni dénoncées clairement ni jugées.
Les commissions chargées de l’élaboration de la Constituante ont
présenté au peuple un 1er draft dit avant-projet après 9 mois de
travaux ; cet avant-projet estimé incohérent, rempli de contradictions et de déclarations d’intention
sans contenu juridique.
La table ronde organisée le 23 Août 2012 par d’éminents
constitutionalistes confirme que le «travail» accompli par l’ANC au sujet du
projet de Constitution ne bénéficie ni d’une base méthodologique ou d’un plan
cohérent.
Les membres de la commission de la rédaction de la Constitution auraient dû travailler à partir des termes de
référence (TdR) définissant clairement les objectifs, les résultats attendus,
les délais de remise des documents intermédiaires comme :
ü
Un avant-projet sommaire (APS)
définissant les problématiques, grands enjeux et choix précis en matière de
régime politique avec un canevas du projet.
ü
Un avant-projet détaillé (APD)
formulant les énoncés de l’APS et présentant la version zéro de la Constitution.
ü
Un projet final tenant compte de
toutes les remarques et amendements exigés suite aux discussions en
séance plénière.
A défaut d’une telle démarche, vous, membres de l’ANC, êtes partis
sur une mauvaise piste dont les conséquences graves, se répercutent sur la
poursuite de la rédaction de la Constitution.
Un deuxième élément essentiel fait défaut : une méthodologie
d’approche que le chef de file du groupe chargé de la rédaction aurait dû
remettre à l’ANC pour approbation en séance plénière. La finalité d’une
méthodologie est de traduire les objectifs généraux des TDR en termes
plus précis et indiquer les sources et références que le groupe de travail
compte utiliser. Un programme-chronogramme précis aurait dû être joint à cette
méthodologie.
Dans la mesure où la classe politique s’était accordée sur
l’article 1er de la constitution de 1959, il vous aurait suffi de
faire un toilettage de celle-ci, c.à.d. de :
·
Supprimer les dispositions
limitant les libertés individuelles et collectives et la pratique démocratique.
·
Y ajouter des articles
avant-gardistes en matière de :
o Développement
durable,
o Décentralisation,
o Démocratie
directe,
o Bonne
gouvernance économique (inscription de la règle d’or de gestion budgétaire),
o Séparation
du politique du religieux,
o Egalité
absolue Homme-Femme,
o Abolition
de la peine de mort,
o Droit
à l’éducation,
o Soins
gratuits, et prise en charge de la précarité, etc.
Bref, la Tunisie a perdu une année précieuse. Et plus grave
encore, sur le plan politique le pays vit dans un flou dramatique pouvant
anéantir 56 ans de construction de l’Etat et de ses institutions. L’économie et
les finances publiques frôlent la faillite totale. Jamais dans son Histoire, la
Tunisie a-t-elle côtoyé un tel gouffre.
Cette situation catastrophique nécessite une prise de conscience
collective afin de sortir le pays de l’impasse. Attendre le 23 octobre prochain
pour se pencher sur l’illégalité ou non des institutions de la transition
issues des élections du 23 Octobre 2011 relève d’une erreur historique
impardonnable.
Après mûre réflexion, nous vous demandons, vous membres de l’ANC, d’organiser un débat national se basant sur le dialogue, le consensus et le choix collectif des décisions afin d’éviter l’irréparable. Nous proposons un processus de Conférence Nationale Souveraine des Forces Vives de la Nation (CNS-FVN).
Cette CNS viserait à prendre une série de décisions consensuelles
et installer une nouvelle et ultime transition garantissant la continuité de
l’Etat. Parmi celles-ci devraient figurer les suivantes :
·
mise en place d’un exécutif à la
tête de l’Etat en fonction de la loi fondamentale provisoire à adopter,
·
désignation d’un organe législatif
de transition,
·
désignation d’une instance
composée de personnalités indépendantes pour achever le projet de Constitution
fondé obligatoirement sur la Constitution de 1959 revue et améliorée grâce aux
dispositions correspondant aux aspirations révolutionnaires exprimées par le
peuple,
·
soumission à référendum populaire
de ce projet,
·
rédaction d’un code électoral en
rapport avec le paysage politique actuel et mise sur pied d’une Administration
électorale indépendante de l’exécutif intérimaire.
Le premier pas à faire est que cette idée de Conférence Nationale
soit acceptée solennellement par les trois instances de la transition
actuelle (ANC, gouvernement et président
provisoire) et les Forces Vives de la Nation par l’intermédiaire de
déclarations officielles.
La seconde étape de ce processus est la mise en place d’un Comité
National Préparatoire de la Conférence Nationale (CNP-CN) dont la désignation
devrait faire l’objet d’un décret présidentiel après accord du gouvernement et
de l’ANC. Cet organe provisoire doit être composé de 6 à 9 membres
choisis pour leur républicanisme, leur intégrité morale et leur
compétence. Ce comité aura pour charge, essentiellement, de définir les modalités
pratiques de l’organisation de la conférence, d’en arrêter le programme et
d’élaborer les documents de base. Ce Comité pourrait faire appel à toute
personne ou créer tout groupe de travail
et recueillir toute suggestion. Le Comité devrait remettre son rapport aux
trois présidents au plus tard 15 jours après la publication du décret de
création du CNP-CN.
Ce Comité devrait répondre d’une manière précise aux huit
questions fondamentales suivantes : (i) Qui convoquer à la Conférence
Nationale ? (ii) Que discuter lors de la tenue de la Conférence
Nationale ? (iii) Comment organiser cette Conférence ? (iv) quelle
durée pour la tenue de cette
Conférence ? (v) Quel contenu donner au règlement intérieur de la
CN ? (vi) Quelle loi fondamentale adopter pour gérer la nouvelle
transition ? (vii) Faut-il remettre «en service » la Constitution de
59 afin d’éviter le vide constitutionnel ? (viii) Quels documents fournir
aux délégués de la Conférence afin de faciliter le travail des Commissions
de la CN ?
A l’évidence, la question de la souveraineté de la CN devrait être
clarifiée avant la convocation de cette dernière. A notre avis, la Conférence
Nationale doit être souveraine et ses décisions exécutoires. Cette Assemblée devra publier,
dès le lancement de ses travaux, une Déclaration sur les objectifs et les
compétences de la Conférence Nationale.
Nous avons l’obligation de commencer ce processus de Conférence
Nationale au plus tard dans une semaine ou deux. Au-delà, cette proposition
deviendrait caduque et sans intérêt eu égard à l’imminence de la date fatidique
du 23 octobre 2012.
Mesdames, Messieurs les membres de la Constituante, l’échec de
toutes les transitions exige de la classe politique une action salutaire pour
prendre des décisions collectives, seules aptes à remettre la Tunisie sur le
chemin de la reconstruction et de la paix civile.
Si, en raison d’un refus quelconque de
vous vous démettre, le peuple ne vous pardonnera jamais la perte définitive de
la sécurité, des acquis républicains, du redémarrage de l’appareil productif et
de l’économie en général. Il vous imputera tous les échecs passés et à venir,
la pauvreté et le chômage en étant les exemples les plus insoutenables.
Dans l’intérêt du peuple tunisien, sachez partir à temps dignement
et démocratiquement.
Vive la Tunisie, vive la République.
Mustapha STAMBOULI, expert international en planification