Oui à la liberté d'expression et de communication, oui à la
liberté tout simplement, non au salafisme, non au fanatisme et non
au terrorisme". Ce sont les slogans criés à Monastir, ville rempart
contre l'obscurantisme.
La Tunisie a
vécu la semaine dernière deux évènements
majeurs traduisant l’émergence, au grand jour, d’un islam radical et
violent :
le premier à
Tunis lorsque une bande de salafistes de
plus de trois cent barbus a tenté d'incendier le siège de la télévision privée
Nessma TV après la diffusion le 7 octobre du
film franco-iranien Persepolis. Ce film contient une
séquence où Dieu apparaît sous les traits d’un vieillard barbu.
le second,
celui d’un groupe d'islamistes radicaux, qui a fait une violente irruption dans
la faculté de lettres de Sousse, à 25 km de Monastir, ville natale de Habib
Bourguiba, pour tenter d'imposer l'inscription d'étudiantes portant le niqab.
Ces islamistes étaient munis de bombes à
gaz, d'épées et de couteaux menaçant
"d’égorger" le doyen de la faculté pour son refus de l’inscription des
Mounakibat.
Malheureusement, ni le gouvernement de transition, ni les
responsables des partis politiques, à
quelques exceptions, ne se mobilisent pour condamner cette violence
intégriste qui risque de gêner voire d’interrompre le processus de
démocratisation de la Tunisie.
La société civile dans son ensemble a pris les choses
en main et a riposté à deux reprises à
Tunis et à Monastir.
A Tunis, par milliers, les Tunisois
sont sortis dimanche dernier dans la rue en riposte à la manifestation violente
des salafistes de vendredi dernier contre Nessma TV. «La liberté d’expression
est sacrée», «Oui à la démocratie et aux libertés», inscriptions sur les
pancartes portées par les manifestants qui scandaient «Le peuple veut un Etat
civil».
A Monastir, une manifestation citoyenne analogue à celle de
Tunis a été organisée le 17 octobre. Une marée de plus 1500 personnes composée
de jeunes d’hommes, de femmes, tous mêlés, est sortie de la Maison de la
Culture. La foule, rejointe par une multitude d’employés, commerçants. Le cortège traverse Monastir et aboutit au mausolée Habib
Bourguiba. « Oui à la liberté, non au salafisme », « Le peuple veut un Etat civil», slogans scandés à perte de voix puis le chant patriotique
d’Abou Kacem El Chebbi s’envole, résonne et rebondit du cœur et de l’âme de
tous et toutes.
Personne n’est
dupe, ces évènements de violence et de résistance cachent un conflit réel de
fond en filigrane sur les choix sociétaux à prendre par la future Constitution.
Les salafistes tenteront d’imposer un modèle rétrograde qui remettra en cause
les acquis sociétaux de la Tunisie en
particulier ceux du Code du Statut Personnel.
La question de
la Constituante préoccupe et inquiète les tunisiens et tunisiennes et ceci pour
des raisons multiples. Le tunisien refuse l’aventure et le jeu du «quitte ou
double». Le tunisien est un être pragmatique, issu de la philosophie
bourguibienne, il refuse le saut dans l’inconnu et les promesses sans
lendemain. Le peuple est convaincu, compte tenu de l’échiquier politique
actuel, que la Constitution sera fatalement un enjeu politique et de
concurrence entre partis partisans. Elle sera le lieu de renoncements et de
compromissions prévisibles, hypothèses récusées par ce même peuple.
Le choix d'une Constituante pour préparer
un avenir cohérent incluant la Tunisie dans la modernité s'avère porteur
d’incertitudes et de périls sinon producteur d'effets pervers en plongeant notre
pays dans l'inconnu. Tout annonce que le pouvoir émanant des prochaines
élections sera forcément monocolore conduisant à l’instabilité en raison de
l’insatisfaction annoncée du peuple qui ne se reconnaîtra pas dans les
résultats des urnes. En clair : le faible taux d’inscrits sur les listes électorales pour les
prochaines Élections de l’Assemblée Nationale Constituante (51%), les
prévisions de participation au scrutin estimées à 50%, plus de 1500 listes dans
les circonscriptions électorales à l'intérieur et à l'étranger, phénomène dû à
la multiplicité
des partis, des listes, des indépendants, toutes ces données créent confusion et abstention au sein de
l’électorat de la masse silencieuse. De plus, tous ces éléments
vont concourir à la dispersion
des voix, surtout celles des forces progressistes et aboutir à la
possible et probable main-mise totale d'un courant politique conservateur sur
la Tunisie. Plus grave, le risque d'un dérapage sécuritaire incontrôlable
pourrait rapidement dégénérer en soulèvement non maîtrisable eu égard au
délabrement et à la déstructuration du système sécuritaire du pays. La
rébellion récente orchestrée par
certains corps constitués préfigurent et illustrent nos craintes et nos
analyses.
Le choix
d'une Constituante comme feuille de route constitue une erreur stratégique, une aberration et une imposture.
Aberration
: le système électoral retenu pour la constituante préconisant un vote à un
seul tour et à la proportionnelle est plombé par l'introduction de la notion du
maximum de reliquat qui privilégie sans conteste les partis organisés.
Ainsi, la proportionnelle est dépouillée de son caractère juste, elle n'est
qu'une vitrine de communication et de démagogie. Ce mode de scrutin
favorise, à l'évidence, les partis politiques disposant de moyens
financiers et logistiques importants leur permettant de mobiliser leurs
partisans et l'électorat captif. Personne ne s’étonnerait si ennahada et
ses satellites obtiennent la majorité, sachant que ces formations ne
représentent que 7 à 8 % de la masse électorale.
Imposture:
les jeunes, d'acteurs vivants, agissants de la Révolution, le peuple, se
voient transformés en figurants passifs d'une comédie constitutionnelle écrite
d'avance sans eux au profit d'une classe politique contre-révolutionnaire dans
sa majorité qui n'a en rien participé à la Révolution. Et pourtant, ceux-là
mêmes vont recueillir les fruits du combat des révolutionnaires pour imposer une
Constitution et un Destin non conformes aux aspirations progressistes du peuple
tunisien. Est-ce pour un tel "avenir" que la jeunesse s'est sacrifiée
? Est-ce pour cela que le peuple tunisien a adhéré à la révolution et s'est
engagé … pour subir une seconde fois un régime totalitaire, sans
vision socio-économique, avec un seul projet : l'anéantissement de tous les
acquis sociétaux de la Tunisie depuis la libération du pays du colonialisme
le1er juin1955.
Imposture
aussi : aucun parti politique récent ne bénéficie de
fonds nécessaires ou de subventions publiques pour assurer une campagne
électorale porteuse de son programme auprès du peuple, aucun parti nouvellement
créé ne dispose de logistique adéquate pour organiser dignement une campagne
électorale et rencontrer les électeurs et électrices sur le terrain. En outre,
la sécurité des militants et des citoyens et citoyennes est –elle assurée à ce
jour à travers le pays ? Non, en rien.
Imposture
encore : la toute démagogique, bonne/fausse idée de parité Homme-Femme
n'est que leurre eu égard à la réalité. Tous les pronostics faits à ce jour sur
cette question montrent qu'au plus 8 à 10 % de femmes siégeraient à la
constituante; ainsi, seules les femmes issues des partis conservateurs y auront
accès. Peut-on croire que des femmes représentant des idées conservatrices vont
investir l'espace public pour défendre leurs sœurs et leurs luttes pour
l'égalité Homme-Femme ?
Pour conclure je dirai que la direction des affaires
publiques durant les neufs mois de transition a été très mitigée et que la
feuille de route imposée au pays s’avère complètement erronée. Le peuple tunisien se rendra compte de
lui-même de l’ampleur des dégâts le 23
octobre prochain. Le 24 sera un autre jour.
Mustapha Stambouli, Ingénieur
Enit/Epfl expert
international en planification de développement