Les médias jouent un rôle capital dans le processus de démocratisation d’un pays. L’indépendance de la presse se mesure par la capacité de cette dernière à fournir toutes les informations et analyses sans crainte de répression de la part du pouvoir. Est-ce le cas aujourd’hui en Tunisie ? NON ! Ce fut le cas, il y a un an quand Béji Caïd Essebsi prit la destinée de la Nation en main.
Les tunisiens profitèrent d’une période exceptionnelle de liberté d’expression et de communication sans censure. Jamais dans l’histoire de la Tunisie moderne, les médias ne bénéficièrent-elles d’une telle liberté. La période post-élections et l’installation d’une majorité à couleur islamique a marqué le début de la répression : affaire Nessma TV (diffusion du film d'animation franco-iranien, intitulé "Persépolis" provoquant la réaction démesurée des salafistes allant jusqu’à l’agression physique et la comparution du directeur de cette chaîne devant la justice et procès sans fin ) et celle du journal ''Ettounissia'' (arrestation de trois journalistes et mise sous les verrous de son directeur après la publication de la photo d’une femme très décolletée…). Ces deux affaires, très médiatisées, ont obligé le pouvoir à faire machine arrière - d’une certaine manière. Cependant les actes de censure quotidiens ne sont pas portés à la connaissance de l’opinion publique et ils se comptent par milliers : articles et opinions non publiés / rejetés, évènements majeurs non couverts par les médias. Meilleurs exemples : i- manifestation du 8 mars devant l’Assemblée Constituante au Bardo rassemblant des milliers d’hommes et de femmes oblitérée sur les radios et télévisions etc. ii- rassemblement à Tunis Avenue Habib Bourguiba de plusieurs dizaines de milliers de citoyens et citoyennes venus de la Tunisie entière le 20 mars à l’occasion de la fête de l’Indépendance zappé. Iii- meeting grandiose du 24 mars à Monastir consacrant le désir d’unité de toutes les forces progressistes et laïques escamoté par les médias publics. Pour répondre à la question posée, à présent, les médias sont réellement muselés.
Le gouvernement Jbali compte s’attaquer aussi à l’Internet
en confiant la sécurisation du Net à des experts du ministère de
l'Intérieur : « Il s’agit seulement de surveiller les informations qui
circulent pour empêcher la propagation des campagnes de diffamation et autres
dangers virtuels » aux dires du ministre des droits de l’Homme et de la Justice
transitionnelle. Ainsi ce gouvernement
qualifie-t-il la sécurité du Net ! En réalité, c’est un pas de plus vers un maillage serré des blogueurs et
blogueuses tunisiens qui participent à la réflexion alternative et la
dénonciation des abus du pouvoir. Le souci de ce pouvoir, en termes de liberté,
consiste à faire du ben ali sans ben
ali. Vaste programme !
Les derniers propos de Ameur Laârayedh, député d’Ennahdha à
la Constituante annonçant la possibilité de la privatisation des médias
publics troublent les esprits et
suscitent des réactions unanimes de
réprobation et de rejet. Cette idée est née du refus des employés de ces
chaînes de se soumettre aux diktats du gouvernement et du parti islamiste au
pouvoir. Les gesticulations et menaces
pour intimider des fonctionnaires faisant leur travail correctement dénotent
une mentalité en déphasage avec l’opinion publique voire contre-révolutionnaire, le pays ayant choisi définitivement la
démocratie comme système de gouvernance. Ces fonctionnaires doivent poursuivre
ces responsables en justice pour harcèlement moral et diffamation.
Le rétrécissement de l'espace de liberté accordé à la presse
exige une forte mobilisation de la société civile et une dénonciation de la
part de tous les organismes internationaux, en particulier de Human Rights
Watch concernant cette pratique
dangereuse vis-à-vis de la
démocratisation du pays. La liberté de la presse est effectivement
menacée aujourd'hui en Tunisie et la Troïka
au pouvoir en porte la responsabilité intégrale.
Les limites imposées à la liberté de la presse se déclinent
dans un cadre plus large de complot
contre la République et de ses symboles. Les attaques visant l’hymne
national, le drapeau national et le Code
de statut personnel (CSP) et les agressions multiples à l’encontre des députés ne
sont que la partie visible de l’iceberg.
La dérive observée en matière de liberté de la presse en
Tunisie s’inscrit dans le droit fil de
la volonté du pouvoir d’instituer un nouvel ordre contre-révolutionnaire basé sur l’information soigneusement filtrée,
cqfd un ordre à la ben ali.
Si les partis politiques républicains et la société
civile n'agissent pas maintenant, les
conséquences seront désastreuses, non seulement pour la liberté de la presse mais pour la liberté tout court.
S’il est normal que la loi reconnaisse les libertés, elle doit
définir aussi des limites pour les garantir. Les délits de presse devront être clairement arrêtés (incitation à
la haine et à la violence, aux crimes ou aux délits : meurtre, pillage,
incendie, etc.) instaurant des responsabilités individuelles et collectives à
la fois (depuis le journaliste jusqu'à l’éditeur de publication). Inventer des
délits non inscrits dans la loi est une imposture voire un fait relevant d’une
dictature.
Le journalisme basé
sur le pluralisme, la liberté d'expression, constitue un des piliers de la
démocratie. L’information et la liberté de la presse exigent un détachement intégral
de l’État et son engagement à renoncer à la mise sous-tutelle des médias,
fussent-elles publiques. L’exemple britannique est là pour nous convaincre. Les
ex-exilés, aujourd’hui au pouvoir ont bien profité de cette liberté d’expression
en Grande- Bretagne et ils n’ignorent en rien sa signification et son
impact dans la construction et la préservation d’un modèle démocratique !
Il nous faut une presse entièrement indépendante pour
garantir une information non partisane et non
truquée, une information pour une réelle émancipation des mentalités et du
pays. Chacun a le droit de s’exprimer dans tous les domaines sans censure, seul
garde-fou contre la dictature et le pouvoir personnel.
Dans ce contexte et suite à notre constat sur ces accrocs à
la loi, lesquels maintiennent le pays dans une situation
d’incertitude, j’en appelle à l’émergence d’une presse citoyenne qui pourrait constituer une solution contre les dérives autoritaires et
l’ingérence de l’argent sur l’information.
Une presse libre et indépendante ne relève pas d’un luxe que seuls les pays
riches peuvent s’offrir. Au contraire, il faut la considérer comme condition
essentielle à l’existence d’une réelle démocratie.
Dimanche 25 Mars, journée internationale du théâtre,
événement majeur d’expression et de créativité a été saboté par les
salafistes-jihadistes saccageant le matériel, agressant les artistes et privant
la population de spectacles. Ces actes de violence prémédités, non réprimés,
(autorisés ?) montrent le vrai visage de ces
salafistes-obscurantistes opposés à toutes formes de culture, de création et
d’innovation. C’est une vraie dictature ayant comme ennemis l’esprit,
l’imagination et l’intelligence sans
parler de la convivialité et du droit au bonheur.
Par ailleurs, on observe une exigence de plus en plus affirmée pour pousser le pouvoir à assumer correctement ses responsabilités
face à la nécessité de bien informer les citoyens. Si tout le monde s’accorde
sur son bien-fondé, les mécanismes pour mettre en place une presse libre paraissent moins évidents.
Une conférence nationale réunissant les professionnels des
médias, les intellectuels indépendants et la société civile pourrait aider à
arrêter les réformes indispensables pour garantir une information juste, fiable,
responsable et indépendante.
Espérons que ces mots
ironiques de BEAUMARCHAIS ne trouvent
plus écho chez-nous : « Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni
du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps
en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à
quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou
trois censeurs. » … Et méditons cet énoncé de CHATEAUBRIAND : «Plus vous prétendez comprimer la presse,
plus l’explosion sera forte. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle.»
Pour terminer, je dirai que la liberté d’expression n’est
nullement un supplément que s’offrirait une société. Elle est notre droit.
Mustapha STAMBOULI