24 avril 2012

Menaces réelles sur la liberté d’expression et de communication !


Les médias jouent  un rôle capital dans le processus de démocratisation d’un pays. L’indépendance de la presse se mesure par la capacité de cette dernière  à fournir  toutes les  informations et analyses sans crainte de répression de la part du pouvoir. Est-ce le cas aujourd’hui en Tunisie ? NON ! Ce fut le cas, il y a un an quand Béji Caïd Essebsi  prit  la destinée de la Nation en main.
Les tunisiens profitèrent  d’une période exceptionnelle  de liberté d’expression et de communication sans censure. Jamais dans l’histoire de la Tunisie moderne,  les médias ne bénéficièrent-elles d’une telle liberté. La période post-élections et l’installation d’une majorité à couleur islamique a marqué le début  de la répression : affaire Nessma TV  (diffusion du film d'animation  franco-iranien, intitulé "Persépolis" provoquant la réaction démesurée des salafistes allant jusqu’à l’agression physique et la comparution du directeur de cette chaîne devant la justice et procès sans fin )  et celle du journal ''Ettounissia'' (arrestation de trois journalistes et mise sous les verrous de son directeur après la publication de la photo d’une femme très décolletée…). Ces deux affaires, très médiatisées, ont obligé le pouvoir à faire machine arrière - d’une certaine manière. Cependant les actes de censure quotidiens ne sont pas portés à la connaissance de l’opinion publique et ils se comptent par milliers : articles et opinions non publiés / rejetés, évènements majeurs non couverts par les médias. Meilleurs exemples : i-  manifestation du 8 mars devant l’Assemblée Constituante au Bardo rassemblant des milliers d’hommes et de femmes  oblitérée sur les radios et télévisions etc. ii-  rassemblement à Tunis Avenue Habib Bourguiba de plusieurs dizaines de milliers de citoyens et citoyennes venus de la Tunisie entière  le 20 mars à l’occasion de la fête de l’Indépendance zappé. Iii- meeting grandiose du 24 mars à Monastir consacrant le désir d’unité de toutes les forces progressistes et laïques escamoté par les médias publics.  Pour répondre à la question posée, à présent, les médias sont  réellement muselés.
Le gouvernement Jbali compte s’attaquer aussi à l’Internet en confiant la sécurisation du Net à des experts du ministère de l'Intérieur : « Il s’agit seulement de surveiller les informations qui circulent pour empêcher la propagation des campagnes de diffamation et autres dangers virtuels » aux dires du ministre des droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle. Ainsi  ce gouvernement qualifie-t-il  la sécurité du Net !  En réalité, c’est un pas de plus  vers un maillage serré des blogueurs et blogueuses tunisiens qui participent à la réflexion alternative et la dénonciation des abus du pouvoir. Le souci de ce pouvoir, en termes de liberté,  consiste à faire du ben ali sans ben ali. Vaste programme !
Les derniers propos de Ameur Laârayedh, député d’Ennahdha à la Constituante annonçant la possibilité de la privatisation des médias publics  troublent  les esprits et  suscitent des  réactions unanimes de réprobation et de rejet. Cette idée est née du refus des employés de ces chaînes de se soumettre aux diktats du gouvernement et du parti islamiste au pouvoir. Les  gesticulations et menaces pour intimider des fonctionnaires faisant leur travail correctement dénotent une mentalité en déphasage avec l’opinion publique voire  contre-révolutionnaire,  le pays ayant choisi définitivement la démocratie comme système de gouvernance. Ces fonctionnaires doivent poursuivre ces responsables en justice pour harcèlement moral et diffamation.
Le rétrécissement de l'espace de liberté accordé à la presse exige une forte mobilisation de la société civile et une dénonciation de la part de tous les organismes internationaux, en particulier de Human Rights Watch concernant  cette pratique dangereuse  vis-à-vis de la démocratisation du pays.  La liberté de la presse est effectivement menacée aujourd'hui en Tunisie et la Troïka  au pouvoir en porte la responsabilité intégrale.
Les limites imposées à la liberté de la presse se déclinent dans un  cadre plus large de complot contre la République et de ses symboles. Les attaques visant l’hymne national,  le drapeau national et le Code de statut personnel (CSP) et les agressions multiples à l’encontre des députés ne sont que la partie visible de l’iceberg.
La dérive observée en matière de liberté de la presse en Tunisie s’inscrit  dans le droit fil de la volonté du pouvoir d’instituer un nouvel ordre contre-révolutionnaire  basé sur l’information soigneusement filtrée, cqfd un ordre à la ben ali.
 Si les partis politiques républicains et la société civile  n'agissent pas maintenant, les conséquences seront désastreuses, non seulement pour la liberté de la presse  mais pour la liberté tout court.
S’il est normal que la loi reconnaisse les libertés, elle doit définir aussi des limites pour les garantir. Les délits de presse  devront être clairement arrêtés (incitation à la haine et à la violence, aux crimes ou aux délits : meurtre, pillage, incendie, etc.) instaurant des responsabilités individuelles et collectives à la fois (depuis le journaliste jusqu'à l’éditeur de publication). Inventer des délits non inscrits dans la loi est une imposture voire un fait relevant d’une dictature.
Le  journalisme basé sur le pluralisme, la liberté d'expression, constitue un des piliers de la démocratie. L’information et la liberté de la presse exigent un détachement intégral de l’État et son engagement à renoncer à la mise sous-tutelle des médias, fussent-elles publiques. L’exemple britannique est là pour nous convaincre. Les ex-exilés, aujourd’hui au pouvoir ont bien profité de cette liberté d’expression en Grande- Bretagne et ils n’ignorent en rien sa signification et son impact dans la construction et la préservation d’un modèle démocratique !
Il nous faut une presse entièrement indépendante pour garantir une information non partisane et non  truquée, une information pour une réelle émancipation des mentalités et du pays. Chacun a le droit de s’exprimer dans tous les domaines sans censure, seul garde-fou contre la dictature et le pouvoir personnel.
Dans ce contexte et suite à notre constat sur ces accrocs à la loi, lesquels  maintiennent le pays dans une situation d’incertitude, j’en appelle à l’émergence d’une presse citoyenne  qui pourrait constituer une  solution contre les dérives autoritaires et l’ingérence de l’argent sur l’information.
Une presse libre et indépendante  ne relève pas d’un luxe que seuls les pays riches peuvent s’offrir. Au contraire, il faut la considérer comme condition essentielle à l’existence d’une réelle démocratie.
Dimanche 25 Mars, journée internationale du théâtre, événement majeur d’expression et de créativité a été saboté par les salafistes-jihadistes saccageant le matériel, agressant les artistes et privant la population de spectacles. Ces actes de violence prémédités, non réprimés, (autorisés ?) montrent le vrai visage de ces salafistes-obscurantistes opposés à toutes formes de culture, de création et d’innovation. C’est une vraie dictature ayant comme ennemis l’esprit, l’imagination et  l’intelligence sans parler de la convivialité et du droit au bonheur.
Par ailleurs, on observe une exigence de plus  en plus affirmée pour pousser le pouvoir  à assumer correctement ses responsabilités face à la nécessité de bien informer les citoyens. Si tout le monde s’accorde sur son bien-fondé, les mécanismes pour mettre en place une presse libre  paraissent moins évidents.
Une conférence nationale réunissant les professionnels des médias, les intellectuels indépendants et la société civile pourrait aider à arrêter les réformes indispensables pour garantir une information juste, fiable, responsable  et indépendante.
Espérons  que ces mots ironiques de BEAUMARCHAIS  ne trouvent plus écho chez-nous : « Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. » … Et méditons cet énoncé de CHATEAUBRIAND :  «Plus vous prétendez comprimer la presse, plus l’explosion sera forte. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle.»
Pour terminer, je dirai que la liberté d’expression n’est nullement un supplément que s’offrirait une société. Elle est notre droit.
Mustapha STAMBOULI