Monsieur le Président,
Je me permets de vous interpeller concernant l'état de la Tunisie
après un peu plus que 100 jours de votre
prise de pouvoir et votre installation dans le palais présidentiel.
Tous les progressistes, en
particulier les femmes, ont cru que vous
étiez l'Homme de la situation pour aider les tunisiens et les tunisiennes à
vaincre la fatalité, à sortir la Tunisie
de son marasme socio-économique et surtout retrouver le rayonnement régional et international
d’autrefois de notre pays.
Nous avons pensé aussi que vous
alliez restaurer l’autorité de l’Etat et surtout amorcer la transformation de
la Tunisie par des réformes fondatrices d’une
République juste. Vous n’avez rien fait de tout cela. Vous n’avez même pas
réduit les émoluments du président de la République que nous considérons comme
une insulte au peuple tunisien. Comment accepteriez-vous d’être payé 30.000 dinars alors que le smig n’est que 320
dinars. Qu’avez-vous fait de la loi 2005-88 du 27 septembre 2005 relative aux
avantages alloués aux Présidents de la République dès la cessation de leurs
fonctions ? Les deux présidents post 14 janvier 2011 bénéficient toujours d’une
rente viagère équivalente à celle allouée au Président de la République en
exercice. C’est un scandale digne d’une
république bananière et dictatoriale. Par votre silence sur cette question,
vous donnez raison aux réclamations salariales des enseignants et des
fonctionnaires. Ayez le courage d’abroger cette loi honteuse que nous qualifions d’anticonstitutionnelle.
Par ailleurs, avez-vous besoin de
80 millions de dinars pour faire fonctionner la présidence de la
République ? Soyez un président républicain et affectez 50 millions de dinars aux écoles primaires dans
le cadre de la loi de finances complémentaire promise par le gouvernement afin
de réhabiliter ses infrastructures dégradées et de les doter d’un minimum
d’équipements pédagogiques. Ce geste vous grandira ! Bourguiba n’aurait
jamais accepté un salaire de 30.000 dinars et un budget scandaleux de la
présidence eu égard à la situation chaotique des finances publiques.
Nous constatons que vous avez renié
vos engagements concernant le rétablissement des relations diplomatiques avec
la Syrie. Attendiez-vous le feu vert de
la Ligue des Etats arabes pour le faire ? Sachez, Monsieur le président,
que cette Ligue est devenue un instrument de destruction des Etats arabes. L’Irak,
la Libye, la Syrie, Le Yémen sont en voie de somalisation… Libérez notre pays
de la tutelle de cette Ligue, peu/anti-arabe. La Tunisie va-t-elle continuer à
alimenter les caisses de cette Ligue au frais des contribuables tunisiens, une
structure d’une inefficacité patente servant à engraisser les fonctionnaires
nommés par les différents gouvernements de cet
organisme superflu, anachronique et clientéliste.
Par ailleurs, nous constatons que le Chef de gouvernement
consacre tout son temps pour lutter efficacement contre la mafia économique qui
ruine notre économie, nos finances publiques et assiste le terrorisme
jihadiste. Monsieur Habib Essid mérite
d’être encouragé voire soutenu activement. Le président de la République ne
peut être neutre dans cette question hautement cruciale et stratégique pour
l’avenir de la Tunisie, d’autant plus que vous aviez promis de combattre ce
fléau lors de votre campagne à la présidentielle. Le peuple attend de vous des
actes …
Sur un autre registre, notre voisin du Sud traverse une
période plus que difficile. La Tunisie officielle se contente de suivre les
évènements à travers la presse internationale. La Libye mérite mieux que cela.
L’histoire ne pardonnera jamais tous ceux qui ont facilité l’agression sauvage
de l’OTAN contre ce pays. Il est temps de corriger les erreurs du passé. Faute
de quoi, notre pays sera le grand perdant d’une Libye somalisée. Il n’est pas
trop tard pour un ancien Diplomate de Bourguiba de rectifier le tir : le chaos
libyen est de notre responsabilité …
Le peuple tunisien attend une
gouvernance plus efficace des affaires
publiques et sécuritaires et que l’Etat renonce à l’attentisme le plaçant dans
une position de faiblesse et de vulnérabilité, ce qui renverse les repères de
toute la société.
Le 6 juin 2011, je vous ai
adressé une lettre intitulée : «Sauvons les acquis républicains », dans
laquelle je vous ai demandé, entre autres, de « prendre l’initiative de
rassembler dans un front uni toutes les sensibilités républicaines et progressistes,
contribuant ainsi à l’émergence d’un courant politique puissant, convaincu,
capable de résister aux courants politiques cherchant à balayer à jamais de
notre mémoire collective Tahar Haddad, Abou Kacem Chebbi, Farhat Hached et tant
d’autres figures ayant participé à la construction de la Nation tunisienne
ainsi que la route du progrès et l’espérance démocratique amorcées par la
Révolution.» Le temps m’a donné raison de m’adresser à vous pour vaincre la fatalité.
Aujourd’hui, je vous demanderais
d’être un président courageux, juste et surtout républicain pour continuer
l’œuvre de Bourguiba afin de faire de la Tunisie un pays audacieux, pragmatique
et à l’avant-garde dans tous les domaines. Des actes courageux s’imposent, en
particulier :
1. Revisiter les textes concernant les rémunérations du corps
de l'exécutif : le président et le chef
de gouvernement ne doivent pas percevoir plus de 20 « smigs ». Un
Ministre devrait percevoir un traitement égal à celui de Directeur Général,
avec des indemnités liées à sa fonction ne dépassant pas 50% du salaire. Ces
mesures peuvent participer à l'assainissement de la vie politique.
2. La Tunisie n'est ni l'Algérie ni la Syrie pour faire face à la
horde terroriste, possiblement à la solde de la nébuleuse de DAAECH. Si la
Tunisie n'agit pas aujourd'hui politiquement, l'étranger viendra s'installer
pour toujours sous prétexte de nous sauver du terrorisme. La guerre tardive
contre le terrorisme, décidée récemment par le pouvoir public, ne mène nulle part qu'à la démoralisation de nos soldats et
de nos divers agents de la sécurité intérieure
peu préparés à cette guerre asymétrique. Les terroristes de toutes les
nationalités, venus du Mali chassés par les forces françaises et africaines, et
de la Syrie après les difficultés rencontrées par l'opposition syrienne et ses
mercenaires takfiristes, sont rôdés à ce genre d'exercice de sabotage et de
massacre en tout genre. Il ne s'agit pas de baisser les bras mais de rapidement
redéployer une autre stratégie d'attaque systémique à la guerre asymétrique à
travers une institution de renseignement de type FBI.
3. Appliquer les lois de la République avec zéro tolérance afin de
réduire à néant les hors-la-loi (la mafia économique) et les ennemis de la
République (les jihadites).
4. Créer, urgemment, un nouveau corps de justice, celui des juges
anti-terroristes, en offrant à ces juges courageux toutes les conditions de
sécurité.
5. Rétablir les relations diplomatiques avec la Syrie afin de
bénéficier d’une source d’informations cruciale sur les 6000 jihadistes
tunisiens qui opèrent dans ce pays.
6. Accélérer le processus de la décentralisation afin de sauver nos
villes et nos régions devenues la proie de la mafia locale. Un nouveau code des
collectivités locales améliorant la gouvernance, une loi électorale
cohérente et non partisane, une base de données d’électeurs juste et fiable doivent
être établis dans les meilleurs délais afin de garantir la réussite d’une
telle décentralisation.
La Tunisie a besoin d’une dynamique politique
exceptionnelle pour nous éviter le chaos. Vous disposez, en tant que président de la République, de
tous les leviers de transformation et de
modernisation de l’Etat tunisien.
Monsieur le Président, engagez-vous dans les vraies
batailles de la Tunisie : celle de l’équité-égalité et de la justice,
celle de la décentralisation, celle de la sécurité et de la lutte contre la
mafia et celle de la solidarité nationale.
Terminons avec ces mots d’Eugène Ionesco : “Un
médecin consciencieux doit mourir avec le malade s'ils ne peuvent pas guérir
ensemble.”
Veuillez croire, Monsieur le
Président, en notre profond respect et en notre considération la plus
distinguée.
Monastir, le 18 Avril 2015
Mustapha STAMBOULI, ancien fonctionnaire du PNUD,
Nations Unies
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